Les Kurdes après leur victoire contre
Daech
« État des lieux et
perspectives. »
Vendredi 30 mars 2018
Palais du Luxembourg. Salle
Clemenceau
15 rue de Vaugirard, 75006, Paris
la situation des chrétiens de l’Irak depuis la conquête
des Américains en 2003
La séance fut inaugurée par le
sénateur de Paris Rémi Féraud
J’étais chargé, comme
intervenant, de traiter la situation des chrétiens de l’Irak depuis la conquête
des Américains en 2003, et particulièrement de celle des chrétiens de Mossoul
et de la plaine de Ninive. J’ai commencé par faire un résumé historique des
événements récents.
Une délégation sénatoriale
française, en janvier 2018, partit en Irak pour se rendre compte des conditions
du retour des chrétiens, chaldéens, assyriens, syriaques orthodoxes et
catholiques, dans leurs villes et villages du nord de l’Irak.
Le sénateur Bruno
Retailleau avait présenté, il y a quelque temps, une proposition de résolution
au Sénat. Elle invitait le gouvernement à « utiliser toutes les voies de
droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, et
les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et
les populations civiles en Syrie et en Irak. » Cette proposition avait été
adoptée à l’unanimité le 6 décembre 2016.
Mais revenons en arrière.
Après l’instauration de l’État
islamique de l’Irak et de Syrie à Mossoul (Daech), le 28 juin 2014,
l’inquiétude gagna les chrétiens de la plaine de Ninive. Le 6 août 2014, tous
s’enfuirent en catastrophe devant Daech, abandonnant leurs maisons, leurs
biens, leurs travaux, leurs églises, leurs villages. Un bon nombre gagna les
camps de réfugiés au Kurdistan irakien, province autonome, qui leur ouvrit généreusement
ses portes, à Erbil, Duhok, Souleymania. Ils y survécurent tant bien que mal
dans les camps, les mobiles homes, sous les tentes. La situation était
difficile, mais ils ne perdirent pas espoir.
Le 17 octobre 2016, les Américains, l’armée irakienne et les forces
kurdes lancèrent enfin la bataille de Mossoul, et libérèrent villes et villages
de la plaine de Ninive. Mossoul ne fut entièrement prise que le 9 juillet 2017.
Actuellement, Tell Kaif, Bartella, Batnaya, Karamless, Qaraqosh se
trouvent placés sous l’autorité de l’armée irakienne et des forces populaires de
Bagdad, en grande majorité chiiites, Al-Hashd al-Sha’by.
Tell Esqof, Baqofa, Bashiqa, Alqosh, Bahrzani sont protégés par les Peshmergas
kurdes.
Projets de reconstruction
Durant trois ans, plus de 12000 maisons, de nombreuses églises, furent
détruites, brûlées par Daech, selon le Comité de reconstruction de la plaine de
Ninive (NRC), mis sur pied depuis la
libération de Mossoul et composé des évêques des 4 communautés, chaldéenne,
assyrienne, syriaque orthodoxe et catholique et d’autres dignitaires chrétiens.
Le chantier de la reconstruction s’annonce long et coûteux.
En 2017-2018, environ 7000 familles chrétiennes, sont retournées vivre avec courage et espoir dans leurs villes et villages, violemment
dévastés et ruinés, dont une centaine à Mossoul-est, 3 à 4000 à Qaraqosh. Des
commerces rouvrent leurs portes, mais il y a peu d’infrastructures, de services,
de travail. La sécurité n’est pas assez assurée. Selon un habitant de Qaraqosh,
H. N, les chrétiens ne croient plus en la protection de leurs partis
politiques, ils sont victimes des escarmouches entre les divers groupes armés et
les milices locales. Ils s'alarment de la montée du fondamentalisme islamique,
après le passage de Daech, qui a contaminé par son fanatisme haineux un bon
nombre d’habitants musulmans de la région.
Ils s’inquiètent aussi de la rivalité entre le gouvernement central de
Bagdad et celui d’Erbil, en conflit au sujet de la plaine de Ninive.
Pour la reconstruction de la plaine de Ninive (NRC), le coût est estimé
à plus de 250 millions de dollars. L’État irakien est plutôt absent, le
gouvernement s’avère incapable d’assurer la sécurité des chrétiens et de
s’occuper de leur situation financière. Il participe indirectement à leur exode.
Selon le grand philosophe hollandais Spinoza (1632-1677), l’État est pourtant
fait « pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant
que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve, aussi bien qu’il se pourra et
sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. (…) La fin de
l’État est donc en réalité la liberté ». Spinoza voyait dans la
sécurité la fonction principale de toute société et de tout État. Mais cette
fonction est-elle aujourd’hui remplie en Irak ?
Les Chrétiens comptent pour la reconstruction sur
les Églises du pays et sur leurs jeunes Partis Politiques. Le patriarche chaldéen
Louis Sako et les évêques font tout leur possible pour les faire rester sur
leurs terres. Ils les accueillent, nombreux, dans leurs églises pour les fêtes et
y voient des signes d’espérance.
Le diocèse de Lyon, avec Monseigneur Barbarin,
a établi un partenariat avec Monseigneur Petros Mouché, archevêque syriaque
catholique de Mossoul, de Kirkouk et du Kurdistan, et créé la Fondation
Saint Irénée.
Grâce au soutien et au dévouement de
Monseigneur Yousif Thomas Mirkis, archevêque de Kirkouk et de Souleymania, les
étudiants, au nombre de 750 000 l’an dernier, ont pu poursuivre leurs
études. Depuis l’automne 2017, la plupart sont retournés à l’Université de
Mossoul, en partie réhabilitée depuis la libération de la ville. Le diocèse de
Paris, dans le cadre de sa Campagne de carême 2018, assurera en partie l’aide
au transport de ces étudiants entre leurs villages et Mossoul.
Deux ONG américaines, sont à l'œuvre : citons Les chevaliers de
Colomb, puissante organisation catholique de bienfaisance,
indépendante, présente en 2006 dans 12 pays. Elle fut fondée en 1882 par
Michael McGivney, fils d’immigrants irlandais et regroupe 1,8 millions
de membres à travers le monde.
Avec In Defense of Christians (La défense des chrétiens, IDC), elle
fit une enquête complète sur les violences commises par Daech contre les
chrétiens et réalisa un rapport de 300 pages, « Génocide contre les
chrétiens au Moyen-Orient », qui fut remis à John Kerry, ministre des
affaires étrangères, en mars 2016. IDC appelle les Américains à aider
concrètement les chrétiens du Moyen-Orient, se rend en Irak et fournit une aide
d’urgence aux réfugiés.
Fraternité en Irak, présidée par
Faraj Benoit Camurat, s’est engagée à rénover des appartements à Qaraqosh,
saccagés par les djihadistes, à relancer des commerces et des petites
entreprises, 21 à ce jour. Elle travaille à rouvrir les urgences à l’hôpital, la
maternité et un service de soins dentaires, aidée par l'Oeuvre d’Orient.
Elle restaure, après le passage ravageur de Daech, le beau sanctuaire ancien de
Mar Behnam, un martyr du IVeme siècle, haut lieu de pèlerinage pour tous
les chrétiens d’Irak, situé à quelques kilomètres de Mossoul. Elle projette
aussi de sauver des décombres la vieille église syriaque catholique al-Tahira à
Mossoul.
L’Œuvre d’Orient, présidée par
monseigneur Pascal Gollnisch, se rend, elle aussi, régulièrement au Kurdistan
où elle fournit une aide d’urgence et mène de nombreux projets, dont la
reconstruction de Qaraqosh.
L’Aide
à l’Église en détresse (AED), avec son directeur Marc Fromager, a lancé le
28 septembre 2017 à Rome l’opération : « Retour aux racines »,
et finance la reconstruction de nombreuses maisons à Qaraqosh, Bartella et
Bashiqa. Elle a décidé récemment d’une nouvelle aide de cinq millions de
dollars pour 2000 habitations supplémentaires, afin de permettre aux chrétiens
de revenir chez eux.
L’association
S.O.S. Chrétiens d’Orient, dirigée par Benjamin Blanchard, s’est
rendue sur place. Elle a entrepris un énorme travail de
reconstruction de maisons, d’ouverture d’écoles, comme celle des saints Benham
et Sarah à Erbil, celle de Thomas au petit village de Mangesh. Elle a installé
deux caravanes médicalisées à Mangesh et à Ankawa. Elle multiplie les projets.
La Solidarité chrétienne
internationale (CSI), organisation chrétienne œcuménique de défense des
droits de l’homme, fondée par le pasteur Hans Stuchelberger, apporte aussi son soutien
aux réfugiés.
Une petite ONG, l’association Aux porteurs de lumière (APL),
fondée en 2016 et présidée par l’architecte alsacien Bernard Geylr a fondé à
Kirkouk un cabinet dentaire, deux écoles maternelles et à Souleymanieh la Maison
de la miséricorde, en construction, pour accueillir les personnes âgées et
la petite enfance. Une section est réservée aux malades atteints de la maladie
d’Alzheimer.
La célèbre Fondation Raoul Follereau
aide les chrétiens d’Irak et de Syrie à rentrer chez eux.
D’autres ONG, hors de la France, tentent de venir en aide aux chrétiens
d’Orient et d’Irak.
L’inquiétude
Les chrétiens pourront-ils compter sur l’aide internationale ? Le
gouvernement hongrois a donné une substantielle aide matérielle pour le retour
des réfugiés irakiens dans leurs villages.
Depuis le Référendum sur l’indépendance du Kurdistan, proposé par
Massoud Barzani le 25 septembre 2017, qui remporta une majorité de
« oui », mais fut rejeté par le gouvernement irakien, les pays
limitrophes et les grandes puissances, les frontières et les aéroports demeurent
fermés et la région asphyxiée.
Les chrétiens vivent dans l’inquiétude sur la terre de leurs ancêtres.
Ils craignent la haine des musulmans radicaux et n’ont plus confiance. La vie
en société n’est possible que si les êtres s’acceptent mutuellement. La
cohabitation pacifique avec d’autres communautés sera-t-elle encore réalisable ?
« Je crois, a déclaré le sénateur Bruno Retailleau, que « les
Irakiens se sentent davantage liés par leur religion que par une appartenance
nationale. »
Beaucoup de chrétiens de l’Irak et spécialement de la plaine de Ninive,
ont un grand problème de sécurité. Ils sont tentés par l’exil et l’immigration
vers l’Occident. D’autres espèrent, malgré tant de calamités et de malheurs,
pouvoir rester dans le pays de leur coeur.
Á la fin de mon intervention, le public m’a posé des questions sur le
nombre de ces Assyro-chaldéen-syriaques, sur leur langue araméenne et leurs
perspectives d’avenir.
Je remercie vivement monsieur Nezan Kendal et l’Institut kurde qui m’ont
donné la possibilité de parler de la situation actuelle des chrétiens de l’Irak
et de la plaine de Ninive.
Ephrem Isa YOUSIF