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mardi 14 avril 2009

Les villes étoiles de la haute Mésopotamie


LES VILLES ÉTOILES DE LA HAUTE MÉSOPOTAMIE
Edesse, Nisibe, Amida, Mardin, Arbil, Kirkouk, Sulaymaniya, Dohuk
Ephrem Isa Yousif
Peuples et cultures de l'Orient


L'auteur nous invite à un voyage vers les sources de la culture syriaque et nous conte l'histoire de huit villes, huit étoiles tombées du ciel sur la vaste région de la haute Mésopotamie. Huit villes célèbres, peuplées de Kurdes en majorité, mais aussi de Turcs et d'Arabes, où le peuple Assyro-Chaldéen-Syriaque maintient sa présence.


ISBN : 978-2-296-07736-2 • avril 2009 • 188 pages

jeudi 20 octobre 2005

La Démocratisation du Moyen-Orient




De la Cité-État à la démocratie


Les premières Cités-États en Basse Mésopotamie

À la fin du quatrième millénaire avant notre ère, en Basse Mésopotamie, le pays de Sumer, les habitants passèrent du gros village à la ville. Celle-ci s’organisa peu à peu, sur un territoire donné, en une puissante et vénérable cité-état. Elle était incarnée par un souverain et dirigée non plus seulement par une famille ou un clan, comme dans la société agricole, mais par une élite religieuse, politique et militaire.

Les autorités centrales percevaient des taxes et des tributs pour construire et entretenir les prestigieux bâtiments publics. De ce fait, artisanat et commerce se développèrent, ainsi que les premiers éléments des sciences et des arts. De nombreuses cités-états se développèrent, Eridu, Ur, Larsa, Lagash, Nippur, Kish, Sippar. Chacune avait son dieu tutélaire, mais acceptait dans ses temples tous les autres dieux. L’intolérance religieuse et le racisme n’étaient pas de règle en ces temps antiques.

A la fin du quatrième millénaire avant J.-C., la ville d’Uruk (environ 100 ha), prit un grand essor, à une époque où de nombreux peuples vivaient encore dans des grottes et des huttes. Elle devint alors la plus importante de Mésopotamie. Grand centre religieux mais aussi commercial, elle développa ses relations avec les pays voisins et étendit son l’influence jusqu’à la Méditerranée et au plateau iranien.

Vers 3300 avant J.-C ;et sur des tablettes d’argile provenant d’Uruk, ville riche et prospère, que l’on trouva les premières traces d’écriture cunéiforme,. Les tablettes parlaient de transactions commerciales. Uruk, Terre où souffle l’esprit .

Avec l’invention de l’écriture, une nouvelle ère commença. Au seuil de l’histoire, premiers récits, première épopée, celle du roi d’Uruk, Gilgamesh. L’écriture était un lien, un flambeau qui éclairait et illuminait le monde.


Les premiers codes, dans les grands empires

Des codes de lois furent rédigés en sumérien pour gérer la société sumérienne, comme ceux d‘Ur-Nammu, roi de la Troisième dynastie d’Ur (2112-2094 av. J.-C.) et de Lipit-Ishtar, le roi d’Isin (vers 1930 av. J.-C.).

Le code d’Ur-Nammu, roi d’un empire riche et puissant, contenait 37 articles. Il rétablissait l’ordre et la prospérité dans le Pays, en bannissait la malédiction, la violence et les conflits. Il protégeait le pauvre, la veuve et l’orphelin contre l’avidité des puissants, punissait d’une amende sévère les crimes et les délits. Il préfigurait le code de Hammourabi.

Vers 1792 avant J.-C., Hammourabi, roi de Babylone, hérita d’un modeste royaume. Il conquit les cités, Uruk, Isin, et vingt-quatre villes, il unifia le Pays sous son sceptre ; il développa Babylone qui devint un centre politique, religieux, culturel important. Il bâtit un empire qui prit un aspect plus juridique.

Hammourabi promulgua un code de grande ampleur, écrit en akkadien sur une stèle de basalte et introduisit de profondes réformes.

Une copie de cette stèle, qui mesure 2,25 mètres se trouve aujourd’hui au musée du Louvre à Paris.

Le roi déclare dans son prologue que les dieux l’ont désigné « pour proclamer le droit dans le Pays, pour éliminer le mauvais et le pervers, pour que le fort n’opprime pas le faible, pour paraître sur les populations comme le Soleil et illuminer le Pays. »

Le code, fondé sur la justice, brosse un tableau de la société ; il contient 282 lois concernant la vie sociale et individuelle : transactions commerciales, travail, propriété, agriculture, salaires, famille, châtiments.

Hammurabi établit la légalité dans la cité ; il ne méprise pas la voix des êtres faibles, il protége les opprimés, les pauvres, les femmes, les veuves, les orphelins contre la misère, les sévices, l’abandon. Il manifeste un souci d’équité individuelle.

Comme le dit le code, l’opprimé est invité à lire ou à se faire lire la stèle « pour qu’il voie son cas et que son cœur se dilate. » Les futurs souverains sont priés d’observer ces lois.

Hammurabi conclut dans l’épilogue :

« J’ai serré sur mon sein les gens du pays de Sumer et d’Accad. Grâce à ma Protectrice, ils ont prospéré ; je n’ai cessé de les gouverner dans la paix. Grâce à ma sagesse, je les ai abrités. » (Épilogue)


Je m’interroge : y a-t-il aujourd’hui beaucoup de chefs d’État en Orient qui peuvent tenir ces propos à leurs peuples ?

La démocratie à Athènes

Ce code inspira l’Orient ancien, la Grèce, Rome, l’Occident.

Certes, Hammourabi, grâce à son code, avait amélioré la gestion politique et civile de la société. Cependant le pouvoir restait aux mains d’un monarque. En Grèce, une nouvelle étape fut franchie. La démocratie, gouvernement du peuple, naquit au cinquième siècle avant notre ère, au milieu de crises et de luttes.

Clisthène (508-462 av. J.-C .) en posa les bases en 508. Il renversa les aristocrates, fit des réformes politiques, divisa en dèmes le territoire de l’Attique, y compris Athènes. Les décisions politiques, l’élaboration des lois furent prises désormais au vote majoritaire des citoyens mâles, tous égaux.

Le stratège Périclès (v. 495-429 av. J.-C.) avait une haute conception de la démocratie ; après 461, il fut l’auteur de grandes réformes. Le peuple était souverain, mais ne représentait qu’une classe sociale. Hélas, les femmes, les métèques, étrangers domiciliés en Grèce, les esclaves, jouissaient des droits civiques, mais non politiques et ne votaient pas.

Après la mort de Périclès, Aristote et Platon assistèrent au déclin démocratique. Pour ces penseurs, la cité juste était la République, que gouvernait le philosophe éclairé par son savoir. Mais les volontés de puissance et de jouissance brisaient la communauté. L’individualisme, le chacun pour soi dominaient et déformaient l’idéal de la démocratie qui tournait en médiocratie. Ces facteurs aboutissaient au déclin des institutions et des mœurs.

La Révolution française

Si l’on franchit les siècles, l’on arrive à la Renaissance, qui voulut promouvoir politiquement le peuple.

La Révolution française amena une nouvelle étape dans la formation de l’idée démocratique. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, adoptée en 1789, s’inspira des doctrines des philosophes du XVIIIeme siècle, Montesquieu (1689-1755), Diderot (1713-1784), Voltaire (1694-1778), Rousseau (1712-1778 et affirme des principes à portée universelle.

Cette déclaration comportait un préambule de dix-sept articles qui énonçaient les « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » : liberté d’opinion, d’expression, propriété, égalité devant la loi. Elle énonçait aussi les droits de la nation : souveraineté nationale, séparation des pouvoirs, législatif, exécutif judiciaire. Citons quelques articles majeurs.


Article I

Les hommes naissent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article II

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

Article XI

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi.

Cette Déclaration brossait l’idéal d’une société démocratique.

Entre les principes de 1789 et leur application, la pratique fut parfois défaillante.

Aujourd’hui

Les vieux Mésopotamiens avaient organisé la vie de la cité et de l’empire, pour que les habitants vivent mieux et connaissent la prospérité et la paix.

Aujourd’hui, les Irakiens souhaitent vivre sous un régime démocratique et fédéral. Droit de vote et le choix des citoyens doivent être respectés.

Les citoyens, dans un régime démocratique, ont des droits mais aussi des devoirs : respect de l’État, de sa Constitution et de ses institutions. Règlement des conflits par le dialogue et non par la guerre. Tout n’est pas permis et l’intérêt général doit l’emporter sur les intérêts particuliers. La démocratie est une philosophie, un mode de vie et de pensée, une forme de gouvernement. Elle implique une éducation civique, un respect des lois.

La démocratie ressemble à une fleur fragile, vite fanée si l’on n’y prend garde. Elle doit respecter tous les peuples : Arabes, Kurdes, Turkmènes et le peuple connu sous le nom de Chaldéens,Assyriens, Suryans. Aucun de ces peuples ne doit s’estimer supérieur aux autres. Leur diversité culturelle et linguistique doit être considérée comme une richesse nationale. De même, les diverses religions implantées sur le sol mésopotamien depuis des siècles ou des millénaires, doivent être respectées, protégées, les fidèles exerçant librement leur foi.

Les Irakiens placent dans un État démocratique et fédéral leur espérance de paix, de sécurité et de vie meilleure. Ceci est mon grand souhait pour tous les fils du Pays du Tigre et de l’Euphrate.

Erbil-19-20 octobre 2005

samedi 14 avril 2001

Aramaic Language


Amongst all the prestigious languages that humans have developped during the course of their history, appeared the Aramaïc language.



First period

Arameans, who were semitic nomad, had settled at the thirteenth century before our era in Northern Mesopotami, then they spred in Syria and Lebanon, founding small kingdoms, as in Damascus. At the eighth century, they were subjected by the Assyrian king Teglath-Phalasar III and massively deported, and that contributed to the diffusion of their language.

Aramaïc, thanks also to Babylonian merchants, was propagated in Ancient Eastern and prevailed. This language of exchanges, diplomacy and culture became Lingua franca. From 1000 to 612 BC, the last period of the Assyrian empire, it was accepted by Assyrians as their second language after Akkadian, which it supplanted it little by little. The Aramaïc alphabet competed then ended to replace the cuneiform system.

The most ancient documents in Aramaïc writings are issued from Northern Syria, dated of the eighth century BC.

After Cyrus's conquests, Aramaïc became the official language of the Achemenid dynasty (539-330 avant J.-C.)

Second period

In Palestine, at the first century of our era, it constituted the language of people, Hebrew remained the liturgic language and the upper-classes' one. Jesus and his apostles spoke Aramaïc. In the Old Testament, some parts of the Books of Esdras, Daniel, the Talmuds of Babylon and Jerusalem were written in Aramaïc.

With the turning of Christian era, in Northern Syria, the Aramaïc language had a new impulse with its Syriac dialect . The Syriac writing appeared for the first time in rupestral inscriptions, in the city of Edessa (today Urfa, in the south-east of Turkey) and its region.

The Syriac writing was alphabetical, it included 22 signs represented consonants, it was written from the right to the left. It was developped at the third century, and took the shapes of the so-called « estranghelo » writing, (from Greek stroggulê, « round »).

Because of theological arguments, the Syriac community divided itself during the fifth century in Nestorians or Eastern-Syriacs, who lived in the Persian empire, and Jacobits(Monophysits) or Western-Syriacs, settled in Byzantine empire.

After the Arabic conquest, at the seventh century, and the arabization of the Middle-East, Syriac lost ground and influence.

Syriacs produced a great literature, comments of the Old and New Testaments, theology, philosophy, sciences, medecine. Let's quote amongst the great philosophers Bardesan (153-222), Sergius of Reshaïna (+536), Severe Sebokht (+667), Honayn Ibn Ishaq (808-873), Matta Ibn Younis (+940), Yayya Ibn Adi (+974) and Ibn al-Tayyeb (+1043) . Among the historians, Michael the Great (1126-1199), Elie of Nisibis (975-1046) and Bar Hebraeus (1226-1286) were especially famous.

From the third to the thirteenth century, the influence of Syriacs, their language, their religion, spred to Central Asia and China.

Third period

Nowadays, the Aramaïc language is still spoken by about 2 millions people. They are the Assyrians-Chaldeans and the orthodoxe and catholic Syriacs.

They still use the Syriac alphabet.

They are about half a million in Diaspora, settled in United-States, Canada, Australia, Europe. The center of their language remains in Upper Mesopotamia, where many cities and villages speak Aramaïc, scattered around the Lake of Urmia in Iran, in the region of Tur’Abdin at the south-west of Turkey, and in Syria, in the region of the river Habur.

In 1992, in Iraqi Kurdistan, in the Department of the National Education a special section was created for the teaching of the Syriac language. About thirty schools and a college follow this program, officially teaching by laïcs teachers.

About thirty newspapers are regularly printed.

Then the light of the Aramaïc language is still shining. But until when ?

dimanche 13 juin 1999

Regard sur Babylone



Je pensais toujours à Sémiramis qui, selon une légende, avait pris l’initiative de construire Babylone...

En réalité, au sixième siècle avant notre ère, une seconde Babylone celle de Nabuchodonosor II, avait été édifiée sur les éléments de la capitale d’Hammurapi.

Je projetais de m’y rendre au début de l’automne car elle n’était pas loin de Bagdad, à 90 kilomètres au sud. Hélas, le 22 septembre 1980, la guerre entre l’Irak et l’Iran éclata. Pendant quarante jours, les avions iraniens survolèrent et bombardèrent la capitale. Ils firent beaucoup de victimes parmi les civils. Je finis, ainsi que les autres habitants de mon quartier, par m’habituer à leurs raids incessants et repris une vie plus normale.

L’hiver me porta à l’étude. J’entrepris de savantes recherches sur le passé prestigieux de Babylone. Je le compris bien, elle était devenue une cité mythique qui se mirait dans les eaux de l’Euphrate, mais aussi dans les anciennes sources juives, grecques et occidentales. Les gens d’autrefois avaient jeté des regards différents et même contradictoires sur elle.

Les Mésopotamiens voyaient en Babylone la “bonne ville”, le centre du monde. Ils l’appelaient Bâb-Ili, la “Porte du dieu” car elle ouvrait sur la vocation spirituelle de l’homme et le conduisait aux pieds du tout-puissant Marduk, le maître du panthéon dont la résidence s’élevait au sein des murs. Des centaines de temples et de chapelles, dédiés à différentes divinités, se dressaient au coin des rues.

Babylone engendrait par l’esprit. Elle enveloppait l’âme, la subjuguait.

Pour les Hébreux qui avaient des relations épineuses avec leur riche et opulente voisine, c’était l’orgueilleuse Bâb-El, la grande charmeuse. Elle fascinait les sens par son bel air, ses parfums fleuris, caressants, ses rites, ses secrets. Assise en reine au bord du fleuve, vêtue de fin lin, de pourpre et d’écarlate, parée d’or, de pierreries, elle s’adonnait au luxe, au jeu, au stupre et s’enivrait de vin de palmier dans la douceur du soir.

Au cinquième siècle avant Jésus-Christ, Babylone montra aux voyageurs grecs, comme l’historien Hérodote ou le médecin Ctésias une physionomie qui les étonna tellement qu’ils en perdirent le sens de la mesure. Ils rajoutèrent des kilomètres à ses murailles; ils s’extasièrent sur les poitrines colossales de ses temples, de ses palais, sur la beauté inouïe de ses jardins. Hérodote écrivit, émerveillé :

“Cette ville est si magnifique qu’il n’y a pas au monde de cité qu’on puisse lui comparer.12”


Soumise aux Perses et aux Grecs, la Belle perdit un peu de son éclat. Pâle, magique, elle continuait néanmoins à scruter le firmament de ses yeux perçants...

Au premier siècle, un autre historien grec, Diodore de Sicile et un géographe, Strabon, reconnurent ses talents d’astronome et d’astrologue. Ils respirèrent encore le parfum de sa splendeur passée.

Ensuite, un ciel d’oubli tomba sur Babylone. Les rares Occidentaux qui traversèrent la Mésopotamie, du douzième au dix-neuvième siècle, passèrent à côté d’elle sans que rien n’attirât leur attention. Certains voyageurs la comparèrent à une fille de roi déchue, couchée dans la poussière et gardée par des chouettes, des serpents. Elle semblait le jouet d’une malédiction.

Au milieu du siècle dernier, les archéologues redécouvrirent le front caché sous les décombres de Babylone. Dès 1899, les travaux de l’allemand Robert Koldewey rendirent possible une reconstitution des traits de son visage qui avaient gardé leur noblesse.

A leur tour, le gouvernement et le peuple irakiens, recherchèrent avec assiduité, avec nostalgie, tout ce qui subsistait de la ville, symbole de leur grandeur. Ils édifièrent, sur les soubassements anciens, des murailles imposantes, ils restaurèrent quelques portes et temples. Babylone retrouva, à la fin du vingtième siècle, son décor éblouissant, son histoire et sa force tarie. Elle reprit son rôle de capitale culturelle.

Le printemps revint. Il me tardait de réaliser mon rêve, d’aller prendre conscience de la beauté nouvelle de la cité qui se profilait toujours à l’horizon de mes pensées.

A l’entrée du site, un énorme lion en basalte, lourd, à peine dégrossi, se dressa devant moi d’un air énigmatique. Je vis qu’il serrait, entre ses pattes, un homme ahuri. Derrière l’animal, s’ouvrait une longue avenue pavée de dalles lisses, calcaire et brèche, dégagée par Koldewey.

A l’occasion de la célébration du nouvel an babylonien, “ l’Akitu”, les effigies de Marduk et des autres dieux, vêtues d’habits magnifiques, l’empruntaient. Le somptueux cortège passait entre les murs épais qui l’entouraient et qui étaient ornés de frises de briques émaillées portant chacune une suite de soixante lions aux crinières flamboyantes. Les queues basses, les gueules ouvertes, ces créatures majestueuses, symboles d’Ishtar, déesse de la guerre et de l’amour, semblaient accompagner la procession. Sur le fond bleu outremer des briques, ils laissaient éclater, en une symphonie de couleurs, leurs notes d’or fauve retentissantes, de rouge mâle et de blanc épanoui.

Je songeai avec émotion que cette allée avait vu passer les illustres monarques de Babylone, mais aussi des rois étrangers comme les Perses Cyrus et Xerxès, tous baignant dans une même féerie ocre et bleue.

Plus tard, debout sur son char, sa chevelure léonine incendiée de soleil, Alexandre, le Macédonien, avait fait une entrée triomphale dans la ville. Les habitants opprimés, appauvris par les Perses Achéménides qui les gouvernaient depuis l’an 539, avaient accueilli leur libérateur avec des acclamations, des fleurs et des couronnes.

Je laissai la voie sacrée et m’approchai maintenant de la porte d’Ishtar qui la chevauchait et constituait l’entrée principale de Babylone. Elle étincelait de bleu, de vert. Un drapeau irakien flottait fièrement à son côté. Des palmiers l’éventaient. C’était une double porte, attachée à la terre, pointée vers les nues. La partie supérieure, aux lourds panneaux de briques émaillées, avait été démontée par les membres de l’expédition allemande, avant la première guerre mondiale, et transférée au Musée des Antiquités Orientales de Berlin. Seule subsistait la partie inférieure, reconstruite en miniature, et dotée d’une ouverture en arc et de quatre tours crénelées. Elle était décorée de palmettes blanches, de dragons passants d’un gris bleuté, aux pattes d’aigles et de félins, symboles de Marduk. Ils alternaient avec les taureaux sauvages du dieu de l’orage Adad. Pelages couleur de ciel, grands yeux songeurs, ces bovins m’impressionnèrent.

Toutes les bêtes émanaient en chatoyant du fond glauque de la porte. Fallait-il voir en elles l’âme et la mémoire de la cité ?

Comme je les regardais, captivé, il me parut qu’elles s’animaient. Légères, presque irréelles, elles marchaient, non plus sur un mur, mais sur un miroir d’eau et prenaient des allures fantastiques. Ebloui par cette lumière d’aquarium, je plongeai dans le passé de Babylone...

C’était le célèbre Nabuchodonosor II qui avait fait aménager la voie processionnelle et la porte d’Ishtar. Il avait laissé son nom estampillé sur-le-champ des grandes dalles recouvrant la chaussée. Comparé à un dragon dans la Bible, (Jérémie, 51,34 ) il nous était connu aussi par les textes économiques, par les inscriptions royales, par les auteurs anciens. En 1842, un artiste tel que Verdi, donna son nom à un opéra, Nabucco, animé d’un ardent souffle patriotique.

Nabuchodonosor restait un personnage énergique et complexe.

Il était le fils de Nabopolassar qui avait fondé vers 625 avant notre ère l’empire néo-babylonien et contribué à l’écroulement de l’Assyrie en 612. Il gardait l’empreinte de son origine chaldéenne, une tribu araméenne, les Kaldû, mentionnée dès le neuvième siècle dans les documents assyriens et venue s’installer en Basse- Mésopotamie.

En 605, Nabuchodonosor réussit à battre les Egyptiens à Karkemish sur la rive droite de l’Euphrate. Il poussa la porte de la Syrie-Palestine, pénétra dans la région.

Indocile, le royaume de Juda refusa bientôt de payer tribut, se souleva. Le 16 mars 697, le roi de Babylone prit Jérusalem et déporta trois mille habitants. Malgré les conseils de soumission du prophète Jérémie, la résistance juive ne s’affaiblit pas. Le roi Sédécias se révolta au début de l’année 588. Nabuchodonosor revint assiéger Jérusalem, l’enleva d’assaut le 29 juillet 587, brûla le temple, les maisons. Nobles et artisans, quelques milliers d’individus, attachèrent à leurs reins la ceinture de la captivité et partirent à pied vers la Babylonie.

Ces déportations, vues de la Mésopotamie, n’étaient que de petits épisodes de la vie de l’empire. Elles n’avaient aucun caractère raciste. L’élite de la population juive était transférée en terre étrangère après un conflit entre nations, et plutôt bien traitée.

Nabuchodonosor admit à la cour les jeunes gens les plus beaux, les plus intelligents. Il les fit instruire dans sa langue, les nourrit des mets de sa table, comme le raconte dans la Bible le prophète Daniel.

Certains exilés se lamentaient de demeurer loin du royaume de Juda :

“ Sur le bord des fleuves de Babylone, Nous étions assis et nous pleurions,
Nous souvenant de Sion. Aux saules d’alentour,
Nous avions suspendu nos harpes. ” (Psaume 137)


D’autres, les plus nombreux, s’adaptèrent à leur nouvelle manière de vivre et prospérèrent au milieu des Babyloniens.

En 538, un édit de Cyrus II, grand roi de Perse, devenu le maître du Pays de Sumer et d’Akkad, autorisa les déportés à rentrer en Palestine. Seul un petit nombre, pénétré de la sagesse chaldéenne, reprit le chemin de la contrée natale pour en respirer les senteurs. Les autres Juifs, séduits par les charmes capiteux de Babylone, l’extraordinaire mégapole, restèrent en Mésopotamie. Car

“Babylone était dans la main de l’Eternel une coupe d’or,
Qui enivrait toute la terre.” (Jérémie, 50,7 )
Nabuchodonosor soutint encore le siège de Tyr pendant treize ans, captura la ville. Si l’on s’en tient aux inscriptions qui commémorent ses oeuvres, il n’assit pas son vaste empire sur la guerre. Valeureux mais sage, avisé, il se contenta de le conforter.

A l’intérieur des frontières, le souverain se montra un remarquable administrateur. Il contrôla l’agriculture, développa le commerce avec l’Orient indo-iranien, la Méditerranée, encouragea les arts et les sciences comme les mathématiques, l’astronomie, à la base de nos connaissances. Il s’intéressa aussi au passé.

Avec toutes ses immenses qualités, qui donc pouvait s’élever aussi haut que lui ? Voilà ce que se demandait le prophète Daniel :

" O roi, tu es le roi des rois, car le Dieu des cieux t’a donné l’empire, la puissance, la force et la gloire; il a remis entre tes mains, en quelque lieu qu’ils habitent, les enfants des hommes, les bêtes des champs et les oiseaux du ciel, et il t’a fait dominer sur eux tous : C’est toi qui es la tête d’or” ( Daniel, 2, 37-39 )

La tête d’or, c’est-à-dire le plus accompli, le plus parfait des êtres de la création.

Sous le règne de Nabuchodonosor, le pays s’oubliait donc dans la paix.

Le roi put se consacrer à des travaux d’architecture. Il jura de restaurer, d’embellir sa capitale bien-aimée qui comptait alors neuf cents hectares intra-muros et abritait une population de cent mille âmes.

“Parmi tous les lieux habités, je ne rendrai aucune ville plus fameuse que toi, Babylone ! ”


En effet, il agrandit les canaux et l’enceinte de la cité faite de deux murailles séparées par une large distance. Il érigea des monuments, dont un temple splendide dédié à Marduk, et un vaste palais, séjour de majesté.

Debout devant la porte d’Ihstar, j’émergeai lentement de la nuit bleue et lumineuse du passé babylonien... Je me glissai sous l’arcade, pénétrai dans la citadelle. Je brûlai à présent de visiter la brillante résidence de Nabuchodonosor. Elle se dressait à ma droite, vers l’Euphrate. Bien qu’elle fût en cours de restauration, elle restait ouverte au public. J’entrai dans l’une des grandes cours, franchis le seuil d’une porte voûtée et me tins immobile devant l’immense salle du trône, jadis décorée de palmiers, de fleurs stylisées, de lions passants au milieu d’une forêt de volutes. J’invoquai le fantôme du monarque, richement vêtu, assis dans une niche, en face de l’ouverture centrale, presque semblable à un dieu ....

J’appelai bientôt un autre fantôme, celui du prince Bel-Sharra-Usur, le Belschatsar de la Bible. C’était le fils de Nabonide, dernier roi de Babylone. Ne donna t-il pas dans cette pièce un festin légendaire que, plus tard, Rembrandt immortalisa sur une toile célèbre en s’inspirant du texte sacré ?

Le prophète Daniel racontait qu’au cours d’un repas, Bel-Sharra-Usur, frappé de stupeur, vit apparaître une main d’homme. Elle traçait sur l’un des murs des mots mystérieux, graffiti araméens avec des chiffres. Le message annonçait la prise prochaine de Babylone par les Perses. (Daniel, 5, 26 )

Tout rêveur, je quittai le palais. Avant de m’éloigner, je me retournai pour tenter d’apercevoir, à l’angle de la citadelle, les magnifiques jardins suspendus décrits par Diodore de Sicile et Quinte-Curce, l’historien latin, comme la septième merveille du monde. Selon eux, la brise balançait, au-dessus des hauts murs, les cimes éclatantes et serrées qui montaient vers le ciel.

Jardins de fraîcheur et de volupté, jardins de paradis, créés par la nostalgie d’une reine languissante aux doux yeux noirs qui regrettait les montagnes et les bois de sa Médie natale : Amythys, la petite-fille du roi Astryage, l’épouse de Nabuchodonosor.

Voici des marches qui s’envolent vers les terrasses voûtées, soutenues par des colonnes et parées d’arbres vigoureux de toutes espèces, bien irrigués grâce à un système ingénieux : Cyprès, pêchers, abricotiers, figuiers, grenadiers, rosiers de Perse et de Bactriane.

A l’heure du soir, quand les ombres mauves dansent sur la plaine alentour, Amythis monte vers les plates-formes, ses lourds bracelets d’or tintant à ses poignets. Elle se glisse sous les jeunes frondaisons, elle cherche la verte plénitude. Elle se repose à l’ombre de ses souvenirs d’enfance.

Les années s’enfuient à travers les jardins suspendus déjà dans la légende. Mais la reine de Babylone revient toujours s’y ressourcer.

Je traverse souvent en songe ces jardins élégiaques où l’herbe ne jaunit pas, où les plantes restent d’un vert émeraude, où les jasmins embaument l’air éternellement. J’ai l’impression d’y avoir déjà vécu, comme dans une île bienheureuse. La vie répand le parfum de la jeunesse. J’y fais le tour de mon âme...

Ce fut près de ces jardins, dans une salle du palais, qu’en juin 323, Alexandre donna son dernier banquet. Il y but un vin plus que millénaire. Quelques jours plus tard, délirant de fièvre, incapable de parler, il salua en clignant des paupières les vétérans macédoniens qui défilaient en silence devant son lit d’apparat.

Le soleil se couchait derrière les tours de la cité, les teignant d’écarlate, quand le roi rendit son dernier soupir.

Les Babyloniens scrutaient le ciel aux lueurs vespérales; ils devinèrent une absence, néfaste au grand projet qui voulait faire de leur ville la capitale d’un empire universel. D’une certaine façon, Alexandre allait leur manquer.

Extrait de l’ « Epopée du Tigre et de l’Euphrate », Editions l’Harmattan, Paris, 1999 , ch.12

mardi 13 avril 1999

L'Épopée du Tigre et de l'Euphrate



L'ÉPOPÉE DU TIGRE ET DE L'EUPHRATE
Ephrem-Isa Yousif
Comprendre le Moyen-Orient


L'auteur nous conduit à la découverte de la Mésopotamie antique, et de ses civilisations qui nous ont légué un patrimoine inestimable et ont bouleversé le destin de l'humanité. Il nous met en contact avec les Sumériens, créateurs exceptionnels, qui jetèrent un regard neuf sur l'univers. Il inventèrent les premières villes, constituèrent les États. Par l'écriture, ils firent entrer l'homme dans l'histoire.



ISBN : 2-7384-7510-8 • 1999 • 150 pages

Les visages de l'Assyrie


Quelque temps plus tard, je me retrouvai à Dohuk, une ville postée à soixante-quinze kilomètres au nord de Mossoul, près du défilé d’une montagne portant le même nom. Elle était réputée pour ses figuiers, ses vignes qui la couronnaient de pampres et de feuillages et pour ses grenadiers qui donnaient des fruits à l’écorce lisse, au goût aigre-doux, exquis.

Je n’avais pas oublié les magnifiques reliefs rupestres qui s’élevaient à coté du village voisin de Maltaï.

Un après-midi, je grimpai lentement vers la montagne Bekher. Au bout de vingt minutes de marche, je contemplai de mes yeux tremblants d’émotion le portrait d’un roi sculpté dans le roc : Sennachérib. Il s’était fait représenter deux fois sur chaque panneau de la falaise. Il se tenait debout devant les dieux assyriens coiffés de hautes tiares qui lui apparaissaient, assis ou montés sur leurs animaux-symboles. Il m’attendait, me semblait-il, pour commémorer une belle victoire et celle-ci retentissait maintenant dans mon âme....

Le soir tomba, les reliefs baignèrent dans une clarté rose puis s’effacèrent. Le passé bien vivant rentra dans l’ombre.

Les jours suivants, je me lançai sur les traces des Assyriens qui avaient bâti des citadelles, sculpté d’autres parois rocheuses, à Mala Mergué et, plus à l’est, à Hinis Bavian, non loin de la ville d’Ain Sifni. Ils avaient marqué de leur sceau la Haute-Mésopotamie. Je chaussai leurs sandales à quartiers et, voyageur infatigable, détaché de tout, je parcourus leurs terres rudes, fertiles. Elles s’étalaient principalement entre le Tigre et son affluent le Zab.

Je franchis monts et vallées, collines et forêts, je traversai des pâturages sillonnés de cours d’eau fraîche, je frôlai des buissons bourdonnants d’abeilles aux vols moirés. Je foulai l’espace d’un temps oublié.

Partout, je cherchai l’Autre, l’Assyrie d’antan, celle qu’on ne voit pas mais qui frémit dans l’ombre. N’était- elle pas ma soeur de sang ? J’évoquai en marchant son nom aux syllabes sourdes et fleuries, chargées de mystère. Je guettai le empreintes de ses pas, emplies d’antiquités. Elle avait fondé une éblouissante civilisation, qui dura plus de mille ans, et dont les feux brillaient encore.

Elle me portait, me grandissait, comme tous les Mésopotamiens d’hier et d’aujourd’hui. Elle prolongeait en moi ses riches coutumes, ses élans irrésistibles, ses rêves généreux.

La Bible avait conservé la mémoire de la fascinante Assyrie. Elle parlait avec éloquence des “... Assyriens ses voisins ,Vêtus d’étoffes teintes en bleu, gouverneurs et chefs, Tous jeunes et charmants, Cavaliers montés sur des chevaux”. (Ezéchiel, 23,6)

Hélas, le plus souvent, se fondant sur des données partiales et hasardeuses, la Bible dépeignait cette grande puissance comme une ennemie redoutable, au masque dur, impitoyable, une souveraine d’effroi, encline aux conquêtes et aux pillages, sources de richesses.

Terrible Assyrie ? Elle n’était pas la seule. A cette époque lointaine, toutes les nations se laissaient aller quelquefois à des actes de barbarie. Le prophète Elie n’égorgea t-il pas 450 prêtres de Baal ? (I Rois, 18, 40 ) Le souverain d’Israël, Jéhu, dressa délibérément deux pyramides de têtes à l’entrée de son palais. ( II Rois 10, 9 )

Et que dire des pays qui commettent aujourd’hui tant d’atrocités, de massacres, d’actes génocides ?

Il fallut attendre le milieu du dix-neuvième siècle pour que justice soit rendue au pays d’Assur et la vérité enfin dite. Les diplomates occidentaux Paul-Emile Botta, Henry Austen Layard, Victor Place, et les autres, ôtèrent de leurs mains ardentes le masque sanglant de l’Assyrie et découvrirent sa figure émouvante, poudrée d’or. Ils croisèrent le feu de son regard et s’enflammèrent pour elle. Ils respirèrent son parfum enivrant, mélange de myrrhe et de cassia. Ils tentèrent de préserver le vêtement dont la civilisation l’avait parée.

Ils la suivirent dans les ruines de ses palais, décorés avec un soin extrême, qui se dressaient jadis au milieu d’un paysage souriant et fleuraient bon le cyprès, le mûrier, le genévrier, le pistachier.

Ces fouilleurs du passé écoutèrent les voix vibrantes qui s’élevaient encore des tablettes, des bas-reliefs et racontaient les hauts faits des princes, la vaillance des soldats aux casques pointus, la piété des prêtres en robes de lin, la beauté racée des chevaux et des lions. Ils s’émerveillèrent devant les ivoires délicatement sculptés, exhumés à Kalhou, la seconde capitale assyrienne.

Au vingtième siècle, les archéologues trouvèrent encore des objets précieux, des bijoux ciselés qui témoignaient du goût exquis et de l’adresse des artisans.

Contrastés dans les êtres et dans les paysages, les deux visages de l’Assyrie, celui de la Bible, séduisant mais violent, dominateur, et celui des archéologues, envoûtant et raffiné, finirent, à mes yeux, par se confondre dans la personnification symbolique de Sémiramis, la reine au bandeau d’or. Fine, intelligente et farouche amazone, elle surpassait en beauté toutes les dames du palais.

Sammouramat, la femme du roi Shamshi-Adad V, qui régna à Kalhou de 823 à 811 avant notre ère, semblait à l’origine de cette légende.

Sémiramis aurait épousé Omnés, le gouverneur de Ninive puis, en secondes noces, le roi Ninos. Devenue veuve une nouvelle fois, elle aurait tenté des conquêtes, conduit une expédition militaire jusqu’aux Indes, fondé Babylone et créé ses superbes jardins.

Elle ne pouvait mourir et se perpétua en une blanche colombe, l’oiseau assimilé aux dieux.

Sémiramis conserva la mémoire de son pays, atteignant les dimensions d’un mythe. Elle enflamma les imaginations des Grecs, Hérodote, Ctésias, Diodore de Sicile, mais aussi celles des Romains, des Arméniens, des Européens. Crébillon, Voltaire, Valéry, Gluck, Rossini, en firent une héroïne d’œuvres littéraires, d’opéras. Degas lui consacra un tableau académique.

La reine m’ensorcela à mon tour. Elle revint à moi dans les rêveries de la nuit. Mon imagination ne se lassait pas de l’inventer, de l’embellir Je la cherchais, je la trouvais, je la perdais. Je me concentrais sur son image jusqu’à ce que je l’aie retrouvée....

Chante, Sémiramis, fais résonner les cordes de ta harpe ! Chante la grandeur de l’Assyrie, quand toutes les nations s’inclinaient devant elle. Les cheveux ornés de giroflées, parle-moi de la gloire, parle-moi de l’amour...

Au fil des ans, les archéologues se laissèrent subjuguer par les visages des derniers rois dont ils retiraient du sol stèles et statues. N’incarnaient-ils pas, eux aussi, l’Assyrie ? Coiffés de sortes de fez, les princes semblaient apaisés dans leurs barbes calamistrées. Leurs grands yeux glacés, jadis de velours sombre, regardaient fixement devant eux, vers le passé, comme si l’histoire pouvait recommencer...

Ces monarques n’étaient pas des débauchés aux molles bedaines, faibles et lascifs ou des tyrans sanguinaires comme on les a parfois représentés. Fardés, parfumés, couverts de bijoux, certes, mais virils, énergiques, toujours en marche.

Epris d’une impossible paix, ils se sentaient poussés aux conquêtes les plus éclatantes et aux plus hauts vertiges par les peuples voisins, qui serraient, tels des joncs, les frontières de l’empire et les mettaient en péril. Guerriers robustes, plus impétueux que les flots, ils anéantissaient leurs adversaires, pulvérisaient leurs boucliers, ils établissaient leur triomphe sur les territoires et n’avaient point de rivaux. Ils assimilaient la guerre, qui leur assurait des perspectives économiques, à une lutte contre le mal. Persuadés du bien-fondé et de la réelle supériorité de la civilisation assyrienne, ils voulaient qu’elle soit reconnue et adoptée par les pays environnants. Ceux-ci payaient tribut à l’Assyrie mais profitaient bien de sa stabilité économique et jouissaient des avantages moraux et matériels de la protection royale.

A l’intérieur de l’immense empire, qui, au septième siècle, allait de Chypre jusqu’à l’Iran et faisait communiquer les peuples, les langues et les cultures, les rois n’exerçaient pas un pouvoir absolu, à la façon de Louis XIV, en France. Leur parole n’était pas une lame tranchante. Ils devaient compter sur l’assemblée des Anciens, sur la noblesse et la caste militaire.

Ces princes superbes, charmeurs, artistes, humanistes avaient des devoirs envers leur pays. Il leur fallait développer l’agriculture, entretenir les temples et les canaux, construire des digues, faire respecter les lois. Grâce à une politique de prestige, à une administration centralisée, ils essayaient d’assurer à tous leurs sujets la dignité, le bien-être, la prospérité. Ils les associaient fièrement à leurs triomphes et à leurs joies.

Lors de l’inauguration de leurs palais resplendissants, les souverains invitaient parfois les habitants des villes à de plantureux festins et les rassasiaient pendant plusieurs jours de mets savoureux, de vins fins, et de chants.

Les Assyriens étaient bien les héritiers des Sumériens et des Akkadiens. Leur sagesse consistait, comme celle de Gilgamesh, à profiter intelligemment d’une existence rythmée par la musique. La déesse Ishtar d’Arbèles ne conseillait-elle pas à Assourbanipal de “ manger, de boire et d’être heureux et de faire le bonheur de son peuple parce que de ses lèvres tombe la bonne parole et parce qu’il rassasie le ventre et les oreilles ? ”

Simples représentants et serviteurs des dieux ici-bas, et spécialement d’Ashur, les rois n’étaient pas immortels. Après leur mort, ils descendaient au Pays sans retour comme n’importe lequel de leurs employés. Ils ne bâtissaient pas de pyramides à la façon des Pharaons d’Egypte, mais de simples tombeaux. Ils ne tenaient pas à emporter leurs richesses avec eux.

La grandeur de ces souverains ne venait pas seulement de leurs prouesses, de leur luxe opulent. Ils voulaient faire briller par toute la terre le nom de l’Assyrie, qu’ils vénéraient. Leur véritable conquête, c’était celle de la paix, de la beauté, de la vie.

Extrait du livre : L’Epopée du Tigre et de l’Euphrate, Ch. 11, Editions l’Harmattan, Paris, 1999

lundi 13 mai 1996

ASSUR, le berceau des Assyriens (Qalaat Shergat)


Une visite

En 1962, au printemps, je me rendis à Shergat, une localité située à cent vingt kilomètres au sud de Mossoul. Je profitai de l'occasion pour visiter Assur, la première capitale de l'Assyrie, toute proche, qui hantait mes songes depuis des mois, flamboyant souvenir des temps héroïques.

J’arrivai sur le site grandiose, perché sur un contrefort rocheux du Djebel Hamrîn, qui dominait la rive droite du Tigre. Des murs et des portes, dont celle de Tabira à l'ouest, restaient encore debout. Comme un énorme igloo d'argile, haut de trente mètres et criblé de trous, une ziggourat - tour du temple à étages - surplombait le paysage. Des troupeaux de moutons cherchaient leur maigre nourriture parmi les monticules herbus.

Ce fut vers elle que je me dirigeai d'abord. Symbole de la cité, elle était dédiée au dieu Enlil, dieu de l'air. Elle reliait jadis la terre et le ciel, le présent et l'éternité. D'un bond, je m'élançai à sa conquête, mais le sol s'effrita sous mes pas.

Je faillis me casser la figure, et redescendis. Mais j'étais un curieux, un fureteur et je franchis une porte creusée par les ouvriers dans cette lourde masse. Pourvu qu'elle ne s'écoule pas sur moi, pensai-je tout en m'enfonçant dans l'antre noir. Un frisson d'angoisse me secoua les épaules.

Peu à peu, mes yeux s'habituèrent à l'obscurité et je distinguai des tas de briques crues, éparpillées ça et là. Je ressortis en hâte.

Je marchai vers l'extrémité nord-est de la corne rocheuse.

Une citadelle ottomane, bâtie au XIXeme siècle sur l'emplacement du temple du dieu Ashur avait été aménagée en musée. Ali, le gardien, un jeune homme aux yeux ronds d'orant m'accueillit avec exubérance. Il s'ennuyait et s'empressa autour de moi. Il me montra des cartes, des schémas, des plans, des tablettes, des statuettes d'argile, et autres trouvailles des archéologues. Il me tendit la corde et je m'enfonçai dans le passé d'Assur comme un aventurier se jette du haut d'un pont au fond de l'eau mystérieuse et sombre qui coule à ses pieds.


Une longue histoire

La bourgade remontait à l'époque la plus reculée. Les inscriptions et les poteries révélaient qu'elle avait été habitée dès le début du IIIeme millénaire par un peuple sémite. La cité fut encore occupée par le roi akkadien Narâm-Sin (2259-2223 avant J.-C.), puis intégrée dans la IIIeme dynastie sumérienne d'Ur (2111-2003 avant J.-C.). Belle, active, elle s'adonnait alors au commerce des tissus, du cuivre, de l'étain avec l'Anatolie, la Syrie, la Méditerranée.

Une sombre nuit l'enveloppa durant quelques siècles. Lui porta-t-elle conseil ? Assur recommença à être une importante métropole dans l’empire paléo-assyrien de Shamshi-Adad 1er (1813-1781 avant J.-C.). Au XIVeme et au XIIIeme siècle, elle devint la capitale d'un royaume médio-assyrien qui s'étendait de l'Euphrate aux montagnes de Perse.
Sous les règnes des princes énergiques, Ashurnasirpal II (883-859 avant J.-C.) et Salmanazar III (858-825 avant J.-C.), elle continua son ascension. Le premier l'abandonna pour transférer le siège du pouvoir à Kalhu. Mais Assur demeura le grand centre religieux de l'Assyrie.
Nos ancêtres plaçaient l'âme de leur pays sous la protection d'Ashur, ce dieu local, à l'origine maître de la végétation et du renouveau. Ils le figuraient dans un disque ailé, armé d'un arc. Avec le développement de l'empire assyrien, ils lui avaient donné les attributs d'Enlil, le chef du panthéon sumérien, organisateur de l'univers.

Ainsi c'était le dieu Ashur qui désignait le roi. Il le regardait avec faveur, prononçait son nom qui suivait parfois le sien, et lui réservait un destin plein de grandeur.

Premier serviteur de la divinité, le souverain lui devait une obéissance aveugle. En échange, il remportait la victoire lors d'une expédition militaire. Il obligeait même les pays vaincus à venir vers Ashur et à lui offrir leur butin. Lors des fêtes de nouvel an, le Maître divin était conduit en procession au temple doté de magnifiques jardins. Le monarque prenait part aux cérémonies.
Ashur avait donné son nom à la ville qui s'était déployée comme un éventail, offrant aux yeux des visiteurs éblouis de somptueux monuments décorés de frises et de peintures : Le palais vieux, le nouveau palais, le temple double d'Anou, dieu du ciel et d'Adad, seigneur de la pluie et de l'orage, avec ses tours qui griffaient le ciel, les temples de Sin et de Shamash, dieux de la lune et du soleil.

Sur les conseils du gardien, je choisis de me rendre au temple d'Ishtar, la déesse de l'amour et de la guerre, la reine des colombes.

C'était un très ancien sanctuaire édifié vers l'an 2030 et situé au sud de la voie processionnelle. Hélas, il n'en restait que des amas de pierres et de terre ! Aux jours anciens, pensai-je avec émotion, des êtres pleins de ferveur avaient traversé la cour. Ils s'étaient rassemblés dans la grande salle rectangulaire, garnie de banquettes le long des murs, pour les ex-voto. Ils avaient chanté, psalmodié des hymnes et des lamentations, au son des harpes et des lyres, ils s'étaient enivrés des parfums de l'encens, du cèdre et du cyprès.

Pendant ce temps, les prêtres, les devins et les exorcistes exaltaient par des prières et des offrandes leur protectrice. Sur un podium, Ishtar veillait, richement parée, et son souffle flottait sur les têtes de ses fidèles...

Je remontais doucement vers le "palais vieux". Ébranlées par pans entiers, ses murailles avaient été reconstruites jusqu'à une hauteur d'un mètre. Les fouilleurs y avaient découvert cinq tombes, parmi lesquelles celle d'Ashur Bêl Kala (1074-1057 avant J.-C.), d'Ashurnasirpal II (883-859 avant J.-C.) et de Shamshi-Adad V (823-811 avant J.-C.). Quand le roi partait vers son destin, les femmes du Harem oignaient d'huile fine et d'aromates son corps, le baisaient, le pleuraient tendrement. Puis elles allaient se purifier dans le Tigre, selon la coutume. Revêtu de ses habits royaux, le défunt était déposé dans un simple caveau de pierre, enrichi de quelques trésors, dont le couvercle était scellé par des crampons en bronze.

Les souverains d'Assyrie n'investissaient pas des sommes considérables pour ériger des monuments funéraires ou des pyramides, à l'instar des pharaons. Ils ne se faisaient pas momifier, ils ne regagnaient pas une région de lumière. Comme tous les hommes, ils descendaient au "pays sans retour" pour y mener une existence morne, sombre, poussiéreuse.
Je me penchai au-dessus du sarcophage d'Ashur-Bel-Kala qui béait à ciel ouvert. Il avait été pillé, abîmé par le vent et la pluie. Il n'avait gardé aucun vestige d'un passé prestigieux.


Une tempête de sable

Je continuai ma promenade sur le site. Le ciel s'obscurcissait, se remplissait de rumeurs et de présages. Puis le vent se mit à souffler, soulevant des nuages de sable d'un gris rougeâtre, qui me piquait les yeux. La tempête m'attaqua, m'empoigna au collet. Je luttai pour me dégager. Tout en filant vers l'abri du musée, je songeai à une autre tempête : Elle avait dévasté la ville en l'an 614 avant notre ère...

Où volez-vous, Mèdes cruels avec vos chars et vos coursiers fougueux ? Qu'allez-vous faire d'Assur ? Son heure de feu et de cendres sonne... Son visage humilié se disloque comme une figure de Picasso. La terre résonne du bruit dur des sabots, du vacarme assourdissant des palais qui s'effondrent, des hurlements de la falaise incandescente !

Puis un profond silence retombe sur les bras inutiles du fleuve...

Je n'étais pas fâché d'arriver au musée.

— C'est Ashur qui se met en colère comme autrefois, ironisa le gardien. Rentrez vite, sinon il va vous transpercer d'une flèche cruelle !

Je me laissai tomber sur un banc, désoeuvré. J'essuyai mes joues et mes mains, puis j'éternuai plusieurs fois. Je vis qu'une fine couche de sable recouvrait tous les objets de la pièce.

Ali avança un siège et s'assit à côté de moi. Je repris la conversation :
— Mais pourquoi ce dieu se mit-il en courroux ? En punition de quelle faute obscure livra-t-il aux Mèdes sa propre cité ? Impossible que celle-ci fût totalement incendiée... Ses flammes brûlent encore mon âme.
— En effet, me répondit le jeune érudit, Assur ne disparut pas. Après ces terribles événements, les survivants revinrent l'habiter. Ils ne pouvaient oublier la suzeraineté d'un nom embaumant la myrrhe, l'encens et le cassia ! La ville refleurit à l'époque hellénistique (323 avant J.-C. -fin du 1er siècle après J.-C.). Guidées par Sîn, les caravanes qui se dirigeaient vers Arbeles, Hatra ou Palmyre, secouaient à l'ombre des caravansérails placés hors des murs la poussière de la route. Elles honoraient d'une offrande les divinités d'antan - dont le dieu Ashur - installées à nouveau dans leurs temples restaurés.

Plus tard, les Parthes, un peuple indo-iranien conquit la Mésopotamie. Il favorisa encore la résurrection d'Assur, bâtit de splendides édifices et des quartiers d'habitation.

Les troupes romaines de Trajan saccagèrent Assur en 116, celles de Septime Sévère en 198.

Layard avait découvert le site en 1847. Lors des fouilles de 1903, l'équipe de l'Allemand Walter Andrae retrouva de nombreux vestiges et des graffitis araméens de cette époque. Au milieu de la ville, s'élevait un très beau palais. Sur une cour, donnaient quatre iwans - profondes salles de culte et de réception ouvertes sur l'un des côtés. Ils étaient chapeautés de voûtes en plein cintre et décorés de grecques et de guirlandes en stuc et en plâtre.

Mais déjà les Sassanides ravageaient la région. Vers l'an 256 de l’ère chrétienne, ils mirent à sac la ville sainte qui avait été le berceau des Assyriens et le tombeau des rois. Comment le coeur du dieu Ashur le soutint-il pendant cette seconde destruction ?

— That is the question, observa en anglais le gardien.
Il se leva, saisit un chiffon et se mit à essuyer les antiquités. Puis il m'offrit une tasse de café, et nous attendîmes la fin de la tempête.

Vers les six heures, Ali ferma le musée, alla chercher sa Volkswagen, et me proposa de me ramener à Shergat, où je passais la nuit.

Dans mon rêve, je vis l'antique cité d'Assur. Elle s'alluma dans la fleur de sa plastique beauté. Bien campée sur son promontoire, ivre de ses hautes murailles, de ses tours crénelées, de ses temples et de ses palais majestueux, elle pencha vers le Tigre son visage jaloux et querelleur... Je promenai mes pas le long de ses quais de briques bitumées.

Des musiciens jouaient pour les dignitaires de la ville. Ils voguaient sur le fleuve, dans des bateaux à têtes de dragons, tirés par des rameurs barbus, vêtus de blanc. Ce furent leurs harpes, leurs cymbales et leurs lyres que j'entendis résonner durant mon sommeil fiévreux et ma main baignait dans l'eau qui clapotait près de mon lit.

L'aube blanchit les vitres, la ville s'éteignit et s'engloutit à nouveau au fond du gouffre de l'éternité.

Mésopotamie, paradis des jours anciens, édition l’Harmattan, 1996, Paris, chapitre 4, page 37.

Le site d’Assur est un trésor, il est aujourd’hui menacé par la construction d’un barrage. Après les graves événements qui ont touché l’Irak, le projet a été suspendu, mais l’inquiétude demeure. Il faut protéger ce site, le sauver des inondations, barrages, dégradations, pillages. N’appartient-il pas au patrimoine de l’humanité ?