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dimanche 13 avril 2008

Les calamités en haute Mésopotamie

Les Chroniqueurs syriaques nous relatèrent avec beaucoup de clairvoyance et d’amertume les calamités qui fondirent, au sixième et au septième siècle, sur la Haute Mésopotamie.

Ils subirent ces malheurs et en témoignèrent. Ils demandèrent à la mémoire de fixer, d’enregistrer et d’éclairer le passé.

La Haute Mésopotamie à cette époque-là

L’empire romain d’Occident s’effondra en 476 sous les coups des Barbares, Wisigoths, Ostrogoths, Huns. L’empire d’Orient, plus habile, parvint à sauvegarder son intégrité. Il comprenait Chypre, la Crète, l’Asie Mineure, le nord de la Mésopotamie, la Syrie, la Palestine, l’Egypte.

Constantinople, la nouvelle Rome, occupait le premier rang. La ville connut son âge d’or sous le règne de Justinien (527-565) qui développa une brillante civilisation. Il élabora une oeuvre législative, fondement du droit civil moderne, fit édifier de grands et beaux monuments comme la basilique Sainte-Sophie.

En face de cet empire se dressait la Perse des Sassanides. Elle s’étendait du Khurâsân, en Iran oriental, jusqu’à la Mésopotamie. La capitale était Ctésiphon. Chosroes Ier (531-579), roi guerrier, souverain sage et raffiné, entreprit des réformes, fonda des institutions, améliora les conditions de vie de son peuple. Sa cour devint un lieu d’échanges entre l’Orient et l’Occident hellène. Après la fermeture de l’école d’Athènes sur l’ordre de Justinien en 529, sept philosophes grecs, Hermias, Eulalius, Diogène, Priscien, Isodore, Damascius et Simplicius trouvèrent refuge chez Chosroes.

Aux cinquième, sixième et septième siècles, les Perses et les Romains rivalisèrent de force et tentèrent de restaurer leurs puissances. Ils continuèrent à se faire la guerre jusqu’à la conquête arabe.

De nombreux Syriaques orientaux vivaient dans l’empire sassanide :

Des syriaques occidentaux peuplaient les riches provinces orientales de l’empire romain. A Antioche, à Edesse et à Amid, villes phares, ils s’étaient bien établis.

Antioche (Aujourd’hui Antakya), la troisième ville de l’empire après Constantinople et Alexandrie, était située sur la rive gauche de l’Oronte, au pied des monts Sylpius et Stauris, au centre d’une plaine plantée de figuiers, d’oliviers, de cyprès. Elle s’étendait sur plus de mille hectares.

Elle avait été fondée vers 300 avant Jésus-Christ par un ancien lieutenant d’Alexandre, Séleucos, qui lui avait donné le nom de son père, Antiochos. Il l’avait bâtie, sur un plan régulier, et l’avait divisée en quatre quartiers. De larges rues bordées de portiques, sous lesquels se promenait la foule des badauds, se recoupaient.

Antioche était devenue la capitale des Séleucides et un grand centre de l’Orient hellénistique.

Les Romains la conquirent en 64 avant Jésus-Christ.

Christianisée de bonne heure, elle abrita la première communauté chrétienne et devint ensuite le siège d’un vaste patriarcat, qui allait compter jusqu’à 138 évêchés. Elle conforta la résistance monophysite au cinquième siècle et au sixième siècle après notre ère.

A cette époque-là, la ville, dominée par sa citadelle, entourée de remparts, et de jardins, ne ressemblait à aucune autre. Une douce lumière, rose et or, effleurait le dôme de la grande église, bâtie par Constantin le Victorieux, sans pareille sur le territoire des Romains, caressait la façade du palais impérial, les belles maisons à étages et les somptueux monuments, dont les murs étaient incrustés de dalles de marbre blanc. Elle dansait sur les places ornées de statues, se jouait dans l’eau claire des fontaines.

Antioche s’enorgueillissait de théâtres, de portiques, de boutiques bien achalandées, de bains, d’une bibliothèque et d’un hippodrome, où se disputaient les courses de char et les factions rivales, comme à Constantinople. Les caravaniers, portant l’encens et les épices de l’Arabie, y faisaient étape, et s’égaraient parfois le soir dans les sombres ruelles de son quartier chaud, à l’ambiance animée.

C’était une métropole grande et réputée, la rivale d’Alexandrie, un centre religieux, culturel et économique important, car elle se trouvait au carrefour de l’Orient et de l’Occident. Elle conservait une école de théologie. Sa flotte marchande naviguait sur l’Oronte jusqu’à la mer.

Antioche comptait probablement à l’époque byzantine 300000 habitants. Elle était accueillante pour les étrangers. Des Grecs, des Syriens, des Juifs, teintés de culture hellène, composaient sa population. Dans les campagnes, autour de la ville, où s’élevaient de grands monastères, les gens parlaient le syriaque.

Edesse, en grec, Urhâi chez les Syriaques, entretenait des relations avec Antioche. Séleucos édifia la ville aux environs de l’an 300 avant notre ère sur le site d’une ancienne cité de la Haute Mésopotamie et lui donna ce nom caressant en souvenir de l’Edesse de Macédoine, chère à ses soldats, bruissante de fontaines et de sources curatives.

Edesse se dressait au milieu d’un plateau fertile, défendue à l’ouest par les contreforts des montagnes du Taurus. Une vingtaine de ruisseaux l’arrosaient. Comme les chroniques syriaques le mentionnent, la rivière Daisan, qui la traversait et la rafraîchissait, débordait trop souvent. Elle submergea les bâtiments et noya de nombreux habitants en l’an 201 de notre ère, puis en 302, en 412, en 524, et en 743.

Une dynastie, dont les princes portaient les noms d’Abgar et de Manou, régna à Edesse, de 69 environ avant Jésus-Christ, à l’année 213, date où l’empereur Caracalla en fit une colonie romaine. Les marchands égyptiens, phéniciens, syriens, arabes et juifs passaient par la ville, car elle était située au carrefour des pistes caravanières, et elle constituait une étape importante sur la Route de la soie.

Selon les traditions, Edesse n’était-elle pas l’une des premières cités passées au christianisme, grâce au zèle de l’apôtre Addaï, l’un des soixante-dix disciples de Jésus ? Les échanges commerciaux se développèrent, la nouvelle religion se propagea.

Au deuxième siècle, la ville devint la patrie du célèbre philosophe syriaque Bardesane (154-222). A la croisée des courants culturels, elle demeura le berceau de la langue et de la culture syriaque. Nisibe et Antioche la relayèrent ensuite.

Edesse abrita la fameuse École des Perses, fermée par l’empereur romain Zénon en 489.




St Ephrem le Syrien, fondateur de l'Ecole des Perses

Edifiée selon un plan régulier, Edesse était entourée de remparts crénelés. Au sixième siècle, six portes gardaient l’accès à la petite place forte.

Le nom de la ville s’entourait de mystère, et de légende, car elle protégeait des reliques célèbres, la lettre que le Christ aurait écrite au premier roi chrétien, Abgar, qui régnait à Edesse, et le portrait miraculeux de Jésus imprimé sur un linge. Les pèlerins affluaient dans la cité, découvrant sa rue principale ornée de portiques à colonnes, de boutiques, ses maisons construites de pierres et de chaux, ses jolies places, ses jardins. Il y avait encore un hippodrome, un théâtre, deux bains publics, un d’hiver et un d’été, un hôpital, près de l’évêché, un grenier à céréales, des palais, des églises et, aux alentours de la ville, des hostelleries et des monastères. Les gens d’Edesse faisaient preuve d’un zèle aigu pour défendre leur foi.

Amid, l’actuelle Diyarbakir, au sud-est de la Turquie, était située au nord-est d’Edesse, sur la rive gauche du Tigre supérieur. Petite ville de l’empire assyrien, elle fit partie de l’ancienne Perse, du royaume des Séleucides et de l’Empire romain où elle eut peu d’importance. Comme elle était située à la frontière romano-perse, elle fut disputée entre les Romains et les Perses. Le fils de l’empereur Constantin, Constance, la fit rebâtir en 348. Au sixième siècle, Justinien l’entoura d’une nouvelle et sombre enceinte fortifiée, bâtie en pierres basaltiques. La cité était dotée d’églises, de monastères, et constitua le siège d’un épiscopat.

Symboles de la culture syriaque, ces trois villes, Antioche, Edesse et Amid, furent, en ces temps troublés, assujetties à des calamités redoutables.

Les fléaux à Edesse et dans le Moyen-Orient

Sans doute originaire d’Edesse, Josué le Stylite vécut à la fin du cinquième et au début du sixième siècle, en des temps d’affliction. Il enseigna dans une école. Il se mit au travail, sur l’ordre de son supérieur Sergius, et écrivit un mémorial, « uhdana ». Dans la préface, il résumait ainsi les principales calamités qui frappèrent Edesse, Amid, et la Mésopotamie :

“ J’ai reçu la lettre de ta sainteté, aimant Dieu, ô le plus excellent des hommes, Sergius, prêtre et abbé, dans laquelle tu m’as ordonné d’écrire pour toi, pour [en garder] la mémoire, sur le temps où vinrent les sauterelles, où le soleil s’obscurcit, et où il y eut tremblement de terre, famine et peste, et aussi sur la guerre entre les Romains et les Perses.” (Chronique de Josué le Stylite, trad.W.Wright, § 1)


Les sauterelles

Les sauterelles étaient l’un des fléaux bibliques. Apportées par le vent d’Orient, elles apparurent en Egypte, au temps de Moïse, et dévorèrent l’herbe et les fruits de la terre. (L’Exode, X, 13)

En l’an 499, les sauterelles pullulèrent au-dessus d’Edesse et détruisirent pernicieusement toute cette région agricole, fertile. Josué le Stylite, qui voit un lien entre la célébration d’une fête païenne, avec danses et chants, et la venue des insectes, écrivit :

“Car au mois de Îyâr (mai ) de cette année, quand le jour arriva de la célébration de la fête païenne dépravée, là vinrent du sud, dans notre pays, des sauterelles en immense quantité...Cependant, elles ne détruisirent pas ou ne firent pas de mal à quoique ce fut cette année-là, mais simplement elles déposèrent leurs oeufs dans notre région en non moindre quantité . ” (Chronique de Josué le Stylite,§ 33)


Les tremblements de terre suivirent l’apparition des sauterelles en l’an 810 (498-499) :

“Après que leurs oeufs eussent été déposés dans le sol, il y eut de terribles tremblements de terre dans le pays.” (Josué le Stylite, § 33).


Nicopolis, Arsamota s’écroulèrent, puis Akkô (Acre), Tyr, Sidon.

En mars 500, des nuées de sauterelles envahirent la contrée :

“Au mois de Âdar (mars) de cette année, les sauterelles, sortant du sol, vinrent sur nous, si bien que nous imaginâmes, à cause de leur nombre, que non seulement les oeufs qui étaient dans le sol avaient été couvés, à notre détriment, mais que l’air même les vomissait contre nous, et qu’elles descendaient du ciel sur nous. Quand elles étaient seulement capables de ramper, elles dévoraient et consumaient tout le territoire des Arabes et tout celui de Râs-’ain, de Tellâ et d’Edesse. Mais dès qu’elles étaient capables de voler, l’étendue de leur rayon était de la frontière de l’Assyrie à la mer de l’ouest (la Méditerranée) et elles allaient vers le nord aussi loin que la frontière de Ôrtâye. ” (Chronique de Josué le Stylite, § 38)

Les sauterelles dévoraient les récoltes, les vignes, les jardins, dévastaient les pâturages, réduisaient la région à un désert, ce qui était une vraie malédiction. Elles ne craignaient pas de s’attaquer aux humains : elles laissèrent sans vie un bébé déposé dans le champ où travaillaient ses parents. Elles faisaient souffrir les troupeaux. Elles mettaient un grand désordre dans le monde.

Le passage des sauterelles entraîna la famine à Edesse et dans la région.

La famine et l’épidémie

La famine constituait aussi une calamité biblique, comme la peste.

A Edesse, en l’an 500, les habitants, qui ne disposaient plus en quantités suffisantes de blé, d’orge et de céréales, étaient réduits à toutes sortes d’expédients pour vivre :

“Comme le temps passait, cependant, la disette devint plus grande et la faim affligea de plus en plus le peuple. Tout ce qui n’était pas comestible était bon marché, tels que les vêtements, les ustensiles de ménage et les meubles, car ces choses étaient vendues à la moitié ou au tiers de leur valeur et ne suffisaient pas à l’entretien de leurs propriétaires, à cause de la grande disette de pain” (Chronique de Josué le Stylite, § 39)


Josué le Stylite, qui devait probablement exercer les fonctions d’économe dans son couvent, nous donne les prix du blé, de l’orge, des haricots, des lentilles, des pois, de la viande, des oeufs, qui grimpaient sans cesse.

Les pauvres désertaient les villages alentour, affluaient dans les rues d’Edesse, mendiaient quelques sous pour acheter des morceaux de pain. La détresse enhardissait certains, qui pénétraient dans les lieux saints et dévoraient le pain consacré, nourriture spirituelle, tel du pain ordinaire. D’autres découpaient des carcasses mortes. Les gens erraient dans la ville, l’estomac creux, cherchant des trognons de chou et des feuilles de légumes. Ils dormaient sous les portiques et dans les rues, en tous lieux. Ils maigrissaient, devenaient comme des chacals et commençaient à mourir, d’une mort douloureuse et mélancolique.

Les prêtres et les grands de la cité aménagèrent en hâte des infirmeries.

Le gouverneur Démosthenes partit à Constantinople informer de cette affreuse famine l’empereur Anastase qui donna aussitôt une somme d’argent destinée à soulager les pauvres d’Edesse. Cette distribution de pain arriva, hélas, trop tard :

“Et quand il revint à Edesse, il apposa des sceaux de plomb sur les cous de beaucoup d’entre eux et donna à chacun une livre de pain par jour. Cependant, ils n’étaient pas capables de vivre, parce qu’ils étaient torturés par les affres de la faim qui les faisaient dépérir” (Chronique de Josué le Stylite, § 42)

Les affamés, de plus en plus nombreux, qui étaient entrés dans l’enceinte d’Edesse, et y étaient morts de faim et de maladie, sous les portiques et dans les rues, avaient causé une véritable épidémie. Contagieuse, celle-ci grandit durant l’hiver.

Les cadavres gisaient dans les rues. Les citoyens, les religieux, les ramassaient, les emportaient hors des murs ; ils les enterraient, revenaient chercher les morts qui restaient, mais ils se sentaient débordés. Entre le début novembre 500 et la fin mars 501, plus de cent morts par jour furent ainsi enlevés :

“Durant ce temps, on ne pouvait entendre dans toutes les rues de la cité que les pleurs [des gens] sur les morts ou bien les cris de lamentation de ceux qui étaient (plongés) dans la douleur. Beaucoup [de personnes] mouraient aussi dans les cours de la [grande] Eglise, dans les cours de la ville et dans les hostelleries : et ils mouraient aussi sur les routes, comme ils venaient pour entrer dans la cité. Au mois de Eshwat (février) aussi la disette fut très grande et la pestilence s’accrut.” (Chronique de Josué le Stylite, §§ 42, 43)


L’épidémie ne put être maîtrisée, elle frappa toute la région :

“Et cette épée de la pestilence était non seulement à Edesse, mais aussi à Antioche et jusqu’à Nisibe, le peuple fut détruit et torturé de la même manière par la famine et l’épidémie.” (Ibidem, § 44)

Edesse, Nisibe, Antioche

En l’an 501, raconte le chroniqueur, le Seigneur, dans sa providence, envoya aux gens d’Edesse une belle vendange et les pauvres purent se sustenter à volonté de grains de raisins séchés dans les vignobles. Le vin, bien précieux, joie, et lumière, assura la vie, la renaissance de tous.

En mai 502, l’empereur Anastase interdit les danses dans toutes les villes de son empire. La fête païenne fut prohibée, et la famine cessa rapidement à Edesse. La pluie tomba durant cet hiver-là et les terres produisirent au printemps suivant d’abondantes récoltes.

D’autres famines résultaient des suites de la sécheresse, de la guerre, comme celle qui, durant les années 504-505, décima la ville voisine d’Amid, prise par les Perses, puis assiégée par les Romains.

Les femmes, désespérées, mangèrent des chaussures, de vieilles semelles, et même de la chair humaine :

« De nombreuses femmes alors se rencontrèrent, conspirèrent; le soir ou le matin, à la dérobée, elles prirent l’habitude d’aller dans les rues de la ville. Et qu’elle que fût la personne qu’elles rencontraient, femme, enfant, ou homme, avec laquelle elles étaient de taille à lutter, elles l’entraînaient de force dans une maison, la tuaient et la mangeaient, soit bouillie, soit rôtie. Quand la chose fut trahie par l’odeur de rôti et parvint à la connaissance du général (marzebân), qui (commandait la ville), il fit un exemple ; il mit à mort beaucoup d’entre elles et menaça les autres en paroles, pour qu’elles ne fissent plus cela de nouveau et ne tuassent plus personne. »(Ibidem, § 77.)


La peste en Orient

Une vraie peste bubonique, annoncée par l’apparition d’une comète, frappa l’Egypte en 541-542, arriva en Palestine. Jean d’Asie, évêque d’Ephèse (+ vers 586), un Syriaque occidental, ami de l’impératrice de Byzance, Théodora, en fut le témoin douloureux, car il voyageait alors dans ces contrées. Il évoqua ce mal en s’aidant des lamentations du prophète Jérémie.

De la Syrie jusqu’à la Thrace, la peste frappa à la fois les hommes, les animaux, les moissons :

“A nouveau nous passâmes de la Syrie, par suite d’une secousse et de la violence de la peste, jusqu’à la Ville impériale, quand avec tout le monde nous frappions, nous aussi, à la porte de la tombe, de sorte que nous pensions que, si le soir arrivait, pendant la nuit la mort nous saisirait... Des bandes de moutons, de chèvres, de bœufs et de porcs, étaient devenus comme les autres animaux du désert et qui avaient oublié la terre cultivée et la voix humaine qui les dirigeait. Des terres qui étaient pleines et splendides de tous les fruits se dépouillaient et tombaient, et il n’y avait personne pour les recueillir. Des champs fertiles en froment et se dressant dans toutes les terres par lesquelles nous passions, de la Syrie jusqu’à la Thrace, étaient blancs et dressés, et il n’y avait personne pour moissonner et pour ramasser. Et les vignes, parce qu’était venu le temps de les vendanger et qu’il était passé, quand le temps de l’hiver fut devenu violent, leurs feuilles se fanèrent et leurs fruits se firent rares, suspendus à leurs vignes, et il n’y avait personne pour les récolter et les presser ! ” (Jean d’Asie, Histoire ecclésiastique, trad . R. Hespel, P. 66 )


La peste entraîna le deuil de toute la nature. L’auteur souhaitait qu’à ses lamentations sur l’abandon des campagnes, des villages, des villes, s’associassent celles de la terre et du ciel. L’univers entier était en pleurs.

La peste atteignit Constantinople en 542, ravagea la capitale.

Le fléau, riche en horreurs et en frayeurs, passa en Haute Mésopotamie, à Amid, à Edesse :

“[546-547] L’an huit cent cinquante-huit commencèrent à se produire la famine, la peste, la folie et la rage dans les régions de Mésopotamie. Cette peste, grande et dure, qui eut lieu sur toute la terre, s’étendit aussi de l’an huit cent cinquante-cinq jusqu’à l’an huit cent cinquante-huit, c’est-à-dire trois ans.” (Jean d’Asie, Histoire ecclésiastique, trad. R. Hespel, P. 84-85)


La plaie touchait les corps, abîmés par des tumeurs purulentes à l’aine, mais aussi les âmes. Elle avait une origine intérieure. Aux yeux de Jean d’Asie, elle restait liée aux fautes des fils d’Adam qui avaient méprisé les lois du Seigneur, excité sa colère.

Lutte des êtres démoralisés avec l’ange qui présidait à la Peste, créature surnaturelle:

“Telle était la signification de l’ange qui présidait à ce fléau : de lutter avec les hommes jusqu’à ce qu’ils méprisent toutes les choses de ce monde, même si ce n’est pas de leur volonté, à tout le moins sans leur volonté; de sorte que tout (homme ) dont la pensée était rebelle et encore avide des choses de ce monde se privait rapidement de sa vie.” (Ibidem, P. 79)


L’ange obligeait les gens à changer de chemin, à voir les choses autrement, à mourir au péché de la terre. Les villes dévastées devenaient les places fortes de la pénitence.

Beaucoup de personnes, qui vivaient au niveau matériel, distribuaient maintenant leurs biens aux nécessiteux, veillaient, priaient, se mortifiaient, passant à un autre niveau d’existence, plus vrai, plus spirituel.

Les terribles tremblements de terre

Les chroniques syriaques évoquent les catastrophes naturelles qui frappèrent le Moyen Orient. Une faille nord-sud courait le long de la Palestine et de la Syrie.

Le vendredi 29 mai 526, selon la Chronique d’Edesse, écrite par un auteur anonyme originaire de cette ville, commença le grand effondrement d’Antioche, la grande ville de l’empire romain:

“En l’an 837, le 29 de Iyar (mai), à la sixième férie, à la septième heure, se produisit un violent tremblement de terre sous l’effet duquel une grande partie d’Antioche s’écroula, écrasa ses enfants sous les décombres et ôta la vie aux habitants du pays.” (Chronique d’Edesse, XCVII)

Jean d’Asie, dans son Histoire ecclésiastique, nous donne des détails sur cette terrible catastrophe :

“La septième année de la royauté du même Justin, qui est l’an huit cent trente-sept, Antioche la grande elle aussi s’effondra : c’était son cinquième effondrement ! Pendant sept heures de la journée, un effondrement terrible et violent que nul ne pourrait raconter...” (Jean d’Asie, Histoire ecclésiastique, P.34)
La terre bouillonnait. Les maisons de la ville, soulevées, se dressaient, montaient, descendaient, se fendaient et s’abattaient, en poussière. Antioche, durement secouée, s’embrasa comme une fournaise ardente.

La grande et belle église bâtie par Constantin le Grand tomba et brûla le septième jour. Les hommes s’enfuirent mais furent rattrapés, consumés par le feu.

La secousse ébranla toute la côte, au-dessus d’Antioche, et la ville de Séleucie de Syrie. La triste nouvelle parvient aux oreilles de l’empereur Justin à Constantinople :

“De sorte que, quand l’empereur Justinien [Justin] fut informé de cette destruction totale et de cette disparition complète d’Antioche, de Séleucie et de la côte, dans une amère douleur il retira sa couronne, il enleva ses vêtements de pourpre et il s’assit en pleurs, n’acceptant d’écouter ni de faire absolument rien; mais, pleurant, il était assis en gémissant amèrement sur Séleucie et la côte et Antioche. Car il les connaissait et les aimait beaucoup, et il en faisait aussi l’éloge.

Comme c’était, en effet, la fête de la Pentecôte, l’empereur lui-même se rendit à l’église dans cet état : il était attristé et il pleurait, sans la couronne impériale, revêtu de vêtements de deuil et de la tristesse causée par la destruction; au point que son sénat tout entier aussi, quand ils le virent ainsi attristé, ils se couvrirent d’un vêtement de deuil, comme lui. Et il envoya cinq quintaux (d’or) , qui faisaient cinq cents livres, pour que la ville d’Antioche soit déblayée et (re)construite avec Séleucie et la côte, et qu’ils extraient les cadavres qui y étaient enfouis, des milliers de personnes, innombrables, qui avaient péri par un châtiment terrifiant. Et il en fut ainsi. Et Antioche, Séleucie, et la côte furent (re)construites. ” ( Jean d’Asie, Histoire ecclésiastique, P. 38)


Le 29 novembre 528, à dix heures, Antioche connut son sixième effondrement. Les édifices rebâtis à grands frais, après le tremblement de terre de l’an 526, s’écroulèrent à nouveau :

“ En ce jour-là, il y eut une grande secousse, une heure durant; et à la fin de la secousse, il y eut comme un grand coup de tonnerre, terrifiant et prolongé, (venant) du ciel; et de la terre montait la voix d’une grande terreur, terrifiante et effrayante, à la manière d’un taureau qui mugit. Et par le retentissement de la voix de cette terreur, la terre fut ébranlée et trembla, et tous les édifices qui y avaient été construits après la chute furent renversés et ils s’écroulèrent et ils s’effondrèrent jusqu’à terre : Les remparts et les portes de la ville, et en particulier la grande église et toutes les autres églises, et les chapelles d’un martyr et le reste des maisons, jusqu’aux petites, qui avaient évité la première secousse.” (Jean d’Asie, Histoire ecclésiastique, P. 54.

Antioche dévastée, était devenue pour ses habitants “comme le pressoir de la colère” de Dieu. Les survivants grimpèrent sur la montagne qui se trouvait au-dessus de la ville, s’y installèrent ou émigrèrent vers d’autres cités.

Comme son oncle Justin, Justinien se lamenta de longs jours durant, et décida de redonner vie à Antioche. Il fit exécuter des travaux considérables pour contenir le fleuve Oronte :

“ Et il envoya de l’or en abondance, donnant l’ordre que la ville fût condensée et ramassée, que le rempart extérieur fût rasé et qu’un rempart fût bâti au milieu de la ville, et que le reste demeurât, une bonne part du grand espace extérieur. Et c’est ainsi que ce fut. Et quand le rempart eût été bâti, il se trouva à distance du fleuve Oronte, une bonne part de la ville, après qu’elle eût été ébranlée, demeura à l’extérieur. Et l’empereur ordonna qu’on creusa à l’extérieur du mur lui-même qui avait été bâti, et qu’il y eût un accès vers le fleuve, le fleuve (ainsi) rapproché du (mur) le traversant de part en part. Et le fleuve fut ainsi contenu et il envahit le fossé (creusé) vers le côté du mur qui avait été bâti. Et cela se fit par un travail considérable et de l’or en abondance, grâce aux soins et au zèle de l’empereur Justinien.”. (Jean d’Asie, Histoire ecclésiastique, P.56.

La gloire d’Antioche ne brilla plus comme par le passé.

Les tremblements de terre continuèrent à frapper la Haute Mésopotamie.

Plus tard, dans sa chronique, rédigée avant 775, le Pseudo-Denys de Tell-Mahré, moine du couvent de Zuqnîn, au nord d’Amid, raconta l’un de ces séismes. L’Église Ancienne d’Edesse fut renversée :

“L’an 990 (678-679), le dimanche trois du mois de Nisan (avril), eut lieu un grand et violent tremblement de terre qui renversa Batna-Saroug, ainsi que l’église Ancienne d’Edesse, dans laquelle une foule nombreuse périt.” (Chronique du pseudo-Denys de Tell-Mahré, trad. J.B. Chabot, p. 9)


Quel sens donner à ces séismes? Aux yeux du Pseudo-Denys, c’était la terre maternelle et nourricière qui se révoltait contre ses enfants car ils commettaient l’iniquité :

“Où pourrons-nous trouver la cause de ces tremblements de terre, si ce n’est dans le péché des hommes ? Est-ce que la terre se disloque ? Quand elle tremble et qu’elle est agitée, invoque-t-elle son artisan pour qu’il vienne la consolider ? Je ne le pense pas. Mais quand elle tremble, elle proteste contre les iniquités qui s’accomplissent à sa face ...” (Chronique du pseudo-Denys de Tell-Mahré, P. 42)


Les secousses telluriques, les sauterelles, les famines, les pestes, toutes ces calamités préludaient à la guerre.

Les mémoriaux

Quels étaient les buts des chroniqueurs syriaques en écrivant ces suites de malheurs, qu’ils raccrochaient désespérément aux paroles des prophètes bibliques ? Ils désiraient, comme l’écrivait Josué le Stylite, conserver la mémoire de ces temps calamiteux et garder “un mémorial des châtiments”, afin que les générations futures pussent lire, écouter, revenir de leur mauvaise conduite. Ainsi seraient-elles épargnées par ces terribles afflictions. C’est ce qu’espérait à son tour Jean d’Asie :

“Et pour qui écrirait-il, celui qui écrit ? Alors j’ai pensé qu’il fallait faire connaître et transmettre quelque peu de notre punition par nos écrits, à l’intention de ceux qui viennent après nous... Peut-être eux-mêmes craindront-ils et seront-ils ébranlés ? ” (Jean d’Asie, Histoire ecclésiastique, P. 61)

Le Pseudo-Denys eut ce souci de transmission :

"Il est écrit : [Transmettez à vos fils] et encore : [Interroge ton père et il t’instruira; demande à tes ancêtres et ils te raconteront.] ”

Il avait des préoccupations morales, et s’adressait au lecteur :

“ Prends-donc garde à toi et crains le Seigneur ton Dieu, de peur qu’il n’envoie sur toi ces afflictions.” (La chronique du pseudo- Denys de Tell-Mahré, P. 2)

Les chroniqueurs, qui nous décrivent le cours de l’histoire au sixième et au septième siècle, restèrent tributaires de leurs sources, écrites ou orales. Ils furent les témoins oculaires de certains événements, et purent nous renseigner, avec exactitude et force détails, sur la vie des contrées de la Syrie et surtout de la Haute Mésopotamie. Ils agencèrent leurs matériaux historiques avec un talent littéraire inégal, adoptèrent un système chronologique plus ou moins méticuleux. D’autres sources vinrent confirmer leurs récits.


Perspectives d’avenir

Quand ils parlaient des fléaux qui frappaient les habitants de ces belles régions de la Haute Mésopotamie, très peuplées, les Syriaques raisonnaient parfois d’une manière simple, héritée de leurs ancêtres : Sumériens, Akkadiens, Babyloniens, Assyriens, et des auteurs hébreux de la Bible, dont ils se nourrissaient volontiers. Les calamités étaient liées à des fautes de l’humanité, péchés, manquement à des règles. Tous ces Sémites voyaient une relation causale entre la faute et le malheur qu’ils rapportaient à une cause surnaturelle. Ils croyaient à l’ingérence des dieux du ciel ou du Dieu unique des Hébreux, dans la vie de l’univers, et ils devaient attendre leurs faveurs.

Les chroniqueurs syriaques, membres du clergé jacobite ou nestorien, restaient aussi attachés à la tradition ouverte par Eusèbe de Césarée, au quatrième siècle. L’histoire de l’humanité présupposait la Révélation; elle était orientée, fondée sur l’autorité des Écritures; elle interprétait les desseins de la Providence divine.

Josué le Stylite, Jean d’Asie et bien d’autres, avaient adopté une conception dualiste de l’univers où s’affrontaient Dieu et Satan, la vie et la mort, une mort souvent brutale, cruelle. Ils ne voyaient pas les secousses telluriques, les invasions de sauterelles, les famines, les pestes, comme des catastrophes naturelles mais comme de justes châtiments, envoyés aux pécheurs par l’Hôte courroucé du ciel, pour tenter de régénérer, de purifier leurs âmes perverties.

Gens du vingtième siècle, nous avons une vision différente de l’Histoire. Nous pensons que Dieu n’intervient plus dans les affaires d’ici-bas. Ces fléaux, trop réels, sont des événements parmi d’autres et nous laissent parfois une impression d’éternel et triste recommencement. Ils ne nous semblent pas à la mesure des hommes fragiles qui les affrontent.

Nous suivons les luttes des malheureuses victimes, admirons leur formidable courage. Ne semblent-elles pas nous dire : Nous avons tenu le coup et nous sommes toujours là ?

Je ne puis, hélas, écarter de mes paupières les épreuves de ces peuples, qui vivaient dans ces provinces orientales de l’empire byzantin, heureusement sauvées de l’oubli grâce aux écrivains syriaques et à leurs alertes plumes de roseau. Leurs écrits ont gardé une valeur inestimable.

D’autres calamités atteignirent encore ces gens, inondations, hivers rigoureux, terribles persécutions des monophysites par les empereurs orthodoxes de Constantinople, statuts de tributaires ou dhimmi sous le gouvernement des Arabes après la Conquête, impôts écrasants, humiliations... Hélas, le cycle des calamités recommence sans cesse.

Aujourd’hui cette vaste région d’Amid (Diyarbakir), d’Edesse, de Mossoul, d’Antioche a changé de visage. Elle est divisée entre la Syrie, l’Irak et la Turquie. La population est en majorité musulmane, composée de Kurdes, de Turcs, d’Arabes.

Les chrétiens grecs et syriaques, jadis si nombreux, se trouvent en minorité et vivent difficilement, à cause du manque de liberté, de démocratie; ils craignent les poussées d’intégrisme.

Les Syriaques croient toujours à un avenir meilleur, même s’il reste obscur.


Sources et Bibliographie des Chroniques Syriaques

1)-La Chronique de Josué le Stylite, fut rédigée entre les années 507 et 518 de notre ère par un auteur ecclésiastique inconnu qui vivait probablement à Edesse ( Urhâi)

La Chronique de Josué le Stylite, composée en syriaque avec une traduction en anglais de William WRIGHT, édition Cambridge 1882, rééditée à Amsterdam, Philo Press, 1968. Traduction française (de quelques extraits) réalisée par Ephrem-Isa YOUSIF.

2)-La Chronique d’Édesse, daterait du troisième siècle pour la première partie, du milieu du sixième siècle pour la deuxième partie.

- Chronique d’Edesse, éditée par I. GUIDI, C.S.C.O, Paris, 1903.

3)-L’Histoire ecclésiastique de Jean d’Asie, évêque d’Ephèse, haut personnage de l’église monophysite. Cette histoire universelle à la façon d’Eusèbe de Césarée, allait de Jules César à l’an 585.

- Histoire ecclésiastique de Jean d’Asie, la deuxième partie fut traduite en latin par J.-B. CHABOT, Louvain, 1927-1933.

Robert HESPEL la traduisit en français, C.S.C.O, Louvain, 1989. (Cette traduction est utilisée dans notre étude.)

4)-La Chronique du Pseudo-Denys de Tell-Mahré, moine anonyme de Zuqnin, près d’Amid (Diyarbakir), appelée aussi Chronique de Zuqnin, fut composée avant l’an 775. -Chronique de Denys de Tell-Mahré, quatrième partie, publiée et traduite par J.-B. CHABOT, Librairie Emile Bouillon, Editeur, Paris, 1895

mercredi 13 septembre 2006

Les Syriaques racontent les Croisades



LES SYRIAQUES RACONTENT LES CROISADES

Ephrem-Isa Yousif
Peuples et cultures de l'Orient


Trois chroniqueurs syriaques ont écrit un récit des croisades dans la langue de leur peuple : le syriaque, dialecte araméen. Ils nous ont livré des textes originaux inédits qui présentent une vision différente et plus objective des événements. Elle diffère parfois de celle des chroniqueurs latins, byzantins et arabes. A la lecture de ce livre, on découvre d'autres vérités.

ISBN : 2-296-01286-8 • septembre 2006 • 354 pages

jeudi 13 avril 2006

Deux dynasties brillantes et tolérantes

Les chroniqueurs syriaques parlent souvent des rapports entre les Kurdes et les chrétiens syriaques qui habitent la Haute Mésopotamie. Ils louent particulièrement deux dynasties, celles des Marwanides et des ‘Ayubides de la Djézira

Les Marwanides

Les princes de la dynastie des Marwanides régnèrent sur la grande province du Diyar Bakr de 372-478 h./983-1085 après J.-C. Comment retrouver leurs actions d’éclat, leur puissance suzeraine, leur gloire ardente, leur héroïque légende ? Ils vécurent à une époque où la jeunesse, l’audace, l’adresse, l’intelligence se dépensaient généreusement pour fonder un nouvel État, une brillante dynastie...

Le Diyar Bakr constituait l’un des trois districts de la Djézira, “la presqu’île”. C’était ainsi que les auteurs appelaient la Haute Mésopotamie, région comprise entre les cours supérieurs du Tigre et de l’Euphrate. La Djézira comprenait encore les districts de Diyar Rab’ia (chef-lieu Mossoul) et Diyar Mudar (chef-lieu Rakka, sur la rive gauche de l’Euphrate). Elle correspondait à un territoire situé de nos jours en Syrie, en Irak, en Turquie.

Des Kurdes, d’origine indo-européenne, vivaient avec d’autres peuples dans le Diyar Bakr, province éloignée de Bagdad, à la limite de l’empire byzantin, qui, outre Amid, incluait plusieurs cités et cantons : Arzan, Mayyafarkin (en syriaque Maïpherqat), Hasankeyf mais aussi Khilat, Melazgerd, Ardjish, et un canton situé au nord-est du lac de Van.

Le début de la dynastie des Marwanides

Le chroniqueur de la Djézira au douzième siècle, Ibn al-Azrak al-Fariki, ainsi que l’écrivain arabe Ibn al-Athir, et les chroniqueurs syriaques Elie de Nisibe, Michel le Grand, se plurent à nous conter l’histoire des Marwanides.

Le fondateur de cette dynastie fut un berger kurde, Abu Shudja ’Badh b. Dustak. Il abandonna ses bêtes, prit les armes, devint un vaillant chef de guerre et acquit une certaine notoriété.

A la mort de ‘Adud al Dawla, qui gouvernait l’empire musulman, en 983, un Buyide de la dynastie d’émirs iraniens, Badh prit Mayyafarkin, ville située au nord-est du Diyar Bakr. C’était l’ancienne Martyropolis, l’actuelle Silvan. Il s’empara aussi d’Amid, d’Akhlat, et de Nisibe.

Nisibe, assise au sud de la région montagneuse de Tur ‘Abdin, avait une longue histoire. Marche-frontière entre les Sassanides et les Byzantins, elle était aussi un point de transit des caravanes. Elle avait été soumise par les Arabes en 639.

Le Tur 'Abdin

Badh ne réussit pas à dominer Mossoul et mourut en 990, victime d’une coalition ourdie par les Hamdanides, dynastie d’émirs arabes qui régnait en Haute Mésopotamie et en Syrie depuis l’an 905, et par les ‘Uqaylides, famille d’émirs arabes shi’ites.

Le beau-frère de Badh, Marwan, donna son nom à la nouvelle dynastie. Ses trois fils allaient régner successivement sur le Diyar Bakr.

Le chroniqueur Elie de Nisibe et les Marwanides

Un chroniqueur syriaque, Elie, métropolite de Nisibe, fut le témoin avisé de l’arrivée des Marwanides. Dans ses écrits, il parle élogieusement de ces émirs éclairés, tolérants. Ne surent-ils pas nouer des relations pleines d’estime, de respect, d’amitié, avec les intellectuels syriaques orientaux (nestoriens) et occidentaux (jacobites), qui résidaient en majorité dans les villes de leur principauté et cohabitaient sans heurts avec les Kurdes et les Arabes ?

Qui étaient les Syriaques ? Les héritiers des antiques Assyriens, des Babyloniens, et aussi des Araméens. Les Syriaques parlaient un dialecte de l’araméen. Ils en firent une langue culturelle et scientifique, le syriaque. Ils se convertirent, dès les premiers temps de notre ère, au christianisme. Edesse et sa région furent des foyers d’évangélisation active.

Elie de Nisibe, appelé aussi Elie bar-Shenaya, naquit le 11 février 975 dans la ville de Shena, assise au confluent du Tigre et du grand Zab, centre d’un évêché syriaque oriental depuis le début du VIIIème siècle. Il se fit moine. Il fut ordonné prêtre, évêque, puis fut nommé en l’an 1008 métropolite de Nisibe.

La ville était, au début du onzième siècle, fort agréable, avec ses belles maisons, sa mosquée, ses bains, ses riches jardins. Elle relevait politiquement et administrativement de l’émir du Diyar Bakr.

Religieusement, Nisibe était depuis longtemps un foyer important. Elle abrita une fameuse école, dont l’évêque Jacques de Nisibe jeta les bases au quatrième siècle.

Le métropolite Elie vécut dans cette ville jusqu’à sa mort qui survint en 1146 et s’adonna à divers travaux intellectuels. Il connaissait le syriaque et l’arabe, la culture islamique. Il laissa des oeuvres nombreuses, comme la Chronographie, une Grammaire syriaque, un Lexique arabo-syriaque, des hymnes, des homélies métriques, des lettres, écrits en syriaque.

Elie de Nisibe écrivit en arabe des oeuvres théologiques et morales.

Sa Chronographie, datée de 1018, conserve une grande importance pour l’histoire kurde, car l’auteur nous donne des détails précieux sur les biographies des premiers souverains marwanides et sur les rencontres des savants syriaques et des Kurdes.


La tragédie de l’émir Abu ‘Ali al-Hasan b. Marwan

Elie de Nisibe évoque brièvement la vie d’Abu ‘Ali al-Hasan.

Après la mort de son oncle Badh, l’aîné des fils de Marwan se retira à Hisn-Kayfa, épousa la veuve du vieux chef de guerre. Il combattit les derniers Hamdanides, les mit en déroute et ressaisit toutes les forteresses. Elie raconte la fin tragique de ce prince qui périt à Amid en 997 sous les coups des habitants en révolte. Son frère Abu Mansur Sa’id lui succéda, sous le nom de Mumahhid al-Dawla :

“ En lequel l’émir Abu ‘Ali, fils de Merwan, alla à Amid et les habitants sortirent au-devant de lui. Comme il entrait à la porte de la ville un homme appelé ‘Abd el Barr le tua, se révolta et domina la ville. Abu Mansur Sa’id, fils de Merwan, était alors gouverneur de Gézirta (Djézira). Quand il apprit que son frère était tué, il se hâta d’aller à Maïpherqat et y inaugura son règne le jeudi 7 Dulqa’da [11 novembre 997 de J.-C.]. Depuis ce moment il eut pour nom Mumahhid al-Dawla.” 1


Mumahhid al-Dawla Sa’id et le médecin Bokhtisho

Mumahhid, habile diplomate, sut se servir des ambitions des Byzantins présents au nord de l’Anatolie. Les relations de ce prince avec l’empereur de Byzance Basile II (976-1025) furent plutôt amicales. Quand Basile apprit le meurtre de David, roi du pays de Gorzan, (la Haute Géorgie), qui avait légué par testament son État à l’Empire byzantin, il abandonna la campagne qu’il avait entreprise en Syrie pour s’assurer de l’obéissance des émirs arabes et il franchit l’Euphrate. Il annexa l’État de David, reçut les serments des vassaux, venus à sa rencontre, comme Mumahhid al-Dawla, qui “mit le pied sur son tapis”, en l’an 999 :

“En lequel ( 390 h. / 1311 sél. ) mourut David, roi des Gorzaniens. Le roi des Romains, Basile, sortit dans le pays de Gorzan. Mumahhid al-Dawla vint au-devant de lui et marcha sur son tapis. Le roi le reçut avec joie et le fit maître. Il y eut alors la paix aux frontières. ”2


Mumahhid al-Dawla profita de cette paix pour restaurer les remparts de sa capitale Mayyafarkin, demeure de sa souveraineté, et y faire inscrire son nom, qui rayonne encore de nos jours.

En l’an 1000, il demanda à l’émir buyide Baha’ al-Dawla de lui envoyer le médecin chrétien Gabriel b. ‘Abd Allah b. Bokhtisho, attaché à l’hôpital de Bagdad. Ce dernier descendait de la célèbre famille des Bokhtisho, au service des califes ‘abbassides depuis Al Mansur (754-775). Alors âgé de 80 ans, Gabriel monta avec son fils vers la petite ville fortifiée de Mayyafarkin pour y prendre ses fonctions. Il y mourut deux ans plus tard, couvert d’honneurs et de richesses.

Mumahhid al-Dawla Sa’id connut une fin tragique, comme son frère Abu ‘Ali al-Hasan. Mécontent, peiné, Elie de Nisibe regretta longtemps son prince. Il qualifia d’impie, terme très fort chez les Syriaques, l’homme qui abattit par la ruse “l’émir béni”, qu’il estimait tant. Le jeune frère de Mumahhid, Nasr al-Dawla Ahmad, combattit aussitôt le meurtrier. Dieu, dans sa justice, lui donna la victoire en l’an 1010 :

“En lequel l’impie Sarwin usa de ruse pour tuer dans la nuit du jeudi 5 Gumada I [14 décembre 1010 de J.-C.] l’émir béni Mumahhid al-Dawla. Mais le Seigneur donna la victoire à Abu Nasr, frère de Mumahhid al-Dawla, et livra Sarwin dans ses mains. Il le tua et devint émir sous le nom de Nasr al-Dawla.” 3


L’émir victorieux Nasr al-Dawla Ahmad b. Marwan


Le troisième fils de Marwan, accéda donc au pouvoir, après les deux règnes précaires de ses frères aînés. Fin politique, il sut habilement s’imposer à l’émir buyide Sultan al-Dawla, au calife fatimide d’Égypte Al Hakim et à l’empereur de Byzance Basile II. Tous trois lui envoyèrent des messages de félicitations. Ils représentaient les grandes puissances qui entouraient l’État-tampon de Mayyafarkin.

Elie de Nisibe nous rapporte que Nasr al-Dawla Ahmad b. Marwan, “l’émir victorieux”, reconquit, en l’an 1011, Amid, ville importante de son territoire, alors dominée par son vassal Ibn Dimne :

“En lequel l’émir victorieux Nasr al-Dawla alla assiéger Amid et presser Ibn Dimne. Quand Ibn Dimne vit qu’il n’avait aucun secours à espérer, il se soumit à Nasr al-Dawla. Des fonctionnaires et des collecteurs d’impôts vinrent dominer la ville et y devinrent puissants. - En lequel Ibn Dimne fut tué. Ce furent des gens de la ville d’Amid qui le tuèrent. Nasr al-Dawla s’empara de la ville.”4


Nasr al-Dawla Ahmad, selon d’autres sources, reconquit Amid vers l’an 1024.

Il signa avec l’Empire de Constantinople un pacte de non-agression mutuelle, mais le viola une fois ou deux. La renommée de ce prince kurde, musulman, devint telle que les habitants d’Al-Ruha, (Edesse), à l’ouest, firent appel à lui pour les délivrer d’un chef arabe. Nasr al-Dawla b. Marwan s’empara de la ville d’Edesse en 1026-27, l’ajouta à ses possessions. Le célèbre auteur syriaque occidental Abou’l Faradj Bar Hébraeus (1226-1286) raconte la guerre en ces termes :

“En la même année, Nasr al-Dawla b. Marwan, le Seigneur du Diyar Bakr, régna sur la ville d’Edesse; celle-ci appartenait à un homme de la tribu de Numayr appelé Athyra qui était méchant et ignorant. Les Edesséniens écrivirent à Nasr al-Dawla pour lui livrer le pays. Nasr al-Dawla leur envoya son lieutenant qui séjournait à Amid et se nommait Zingi. Zingi conquit la ville et tua Athira.” 5

Bar Hebraeus

Nasr al-Dawla annexa donc Édesse, mais la ville fut reprise avec liesse par le roi de Byzance en 1031. N’occupait-elle pas une place particulière dans l’histoire du Christianisme ?

Le long règne de Nasr al-Dawla Ahmad marqua l’apogée de la puissance marwanide. Il bâtit une nouvelle citadelle sur une colline de Mayyafarkin où se trouvait l’église de la Vierge, il construisit des ponts, des bains publics. Il restaura l’observatoire. Des bibliothèques équipèrent les mosquées de Mayyafarkin et d’Amid.

Le souverain magnanime, juste et pragmatique, réunit autour de lui, dans la noble cité de Mayyafarkin, qu’animait le soleil de l’Orient, des ascètes, des savants, des historiens, tel Ibn al-Athir, des poètes, comme ‘Abd Allah al-Kazaruni, al-Tihami. Il donna refuge à des réfugiés politiques, tel le futur calife ‘abbasside Muktadi (1075-1099) Il chercha les plus belles concubines, les meilleurs cuisiniers, mais, fort pieux, observa strictement les prescriptions religieuses. Sa cour brillante impressionna les visiteurs par son luxe et son raffinement sans pareils, les retint un moment, les enivra comme une coupe de vin précieux.


Le vizir Abu al-Kasim al-Husayn al-Maghribi et le métropolite Elie

Nasr al-Dawla b. Marwan demeura au pouvoir pendant plus de cinquante ans, maintenant dans la paix son peuple. Il choisit d’éminents vizirs, qui dotèrent le Diyar Bakr d’une grande prospérité économique et culturelle. Citons parmi ceux-ci Abu al-Kasim al-Husayn al-Maghribi qui fut aussi vizir du prince ‘Uqaylide de Mossoul Kirwash b. al-Mukallad, puis du calife de Bagdad al-Kadir.

Al-Maghribi se mit au service de Nasr al-Dawla à Mayyafarkin et resta en fonction de 1025 à 1027. Homme de culture, il possédait une riche bibliothèque. Il écrivit plusieurs ouvrages politiques, dont un manuel sur le gouvernement idéal, Kitab fil-Siyasa, adressé à un monarque, sans doute Nasr al-Dawla b. Marwan.

Dans la principauté kurde de Mayyafarkin, Al-Maghribi entretint des rapports cordiaux avec quelques lettrés syriaques, ses sujets. Il aimait s’entretenir de questions religieuses avec Elie, métropolite de Nisibe, homme pieux, féru de connaissance et de savoir, doué d’un jugement sûr, plein de tact, de diplomatie.

Abu al-Kasim al-Husayn al-Maghribi, qui était encore en fonctions, mourut à Mayyafarkin, en 1027.

Abu Said Mansur b. Isa construit l’hôpital de Mayyafarkin

Les chroniqueurs arabes, comme Ibn Abi Usaybia (1194-1270), mentionnent avec éloges le frère d’Élie, Abu Said Mansur b. Isa, ce médecin de Mayyafarkin, qui avait mérité le surnom de Zahid al-Ulama, “le savant le plus détaché des biens matériels” :

“Zahid al-Ulama c’est Abu Said Mansur b. Isa; il était chrétien nestorien et son frère était métropolite de Nisibe, célèbre par ses vertus. Il exerçait le métier de médecin, au service de Nasr al-Dawla b. Marwan (à qui Ibn Butlân avait dédié le livre “Le banquet des médecins”) Nasr al-Dawla était très respectueux envers Zahid al-Ulama, il comptait sur lui dans le domaine de la médecine, et était bienfaisant à son égard. Ce fut Zahid al-Ulama qui bâtit l’hôpital de Mayyafarkin”

Usaybia continue son récit, il explique à ses lecteurs que

“la cause de la construction de l’hôpital de Mayyafarkin fut que Nasr al-Dawla b. Marwan avait une fille à laquelle il était très attaché et qui tomba malade. Il se promit que, "si elle guérissait, il donnerait en aumônes son poids de drahems. Et lorsque Zahid al-Ulama la soigna, et qu’elle guérit, il demanda à Nasr al-Dawla de consacrer la somme d’argent, qu’il voulait dépenser en aumônes, à la construction d’un hôpital utile à tous. Et ainsi il acquerrait beaucoup de mérites et une renommée excellente. Nasr al-Dawla lui donna l’ordre de construire l’hôpital et il dépensa beaucoup d’argent; il mobilisa des biens fonciers pour assurer les frais de fonctionnement de l’hôpital et il le dota des instruments les plus parfaits.” 6


Âme noble, charitable, louée pour l’excellence de ses mérites, Abu Said Mansur b. Isa dirigea l’hôpital et soigna avec dévouement les habitants de Mayyafarkin.

Il fut aussi un écrivain. Il rédigea plusieurs traités médicaux et un livre sur l’interprétation des songes, des visions. Il s’entendait bien avec son frère Elie qui lui dédicaça l’un de ses ouvrages, le “Livre sur la chasteté”.


Le philosophe et médecin Ibn Butlân à la cour de Mayyafarkin

Un autre médecin célèbre de l’époque, Abu ‘l-Hasan al-Muhtar, dit Ibn Butlân, noua des liens privilégiés avec l’émir Nasr al-Dawla b. Marwan. Praticien fort connu à Bagdad, philosophe, logicien, polygraphe, ce syriaque oriental avait été l’élève préféré d’Abu ‘l Faraj ibn al-Tayyeb, prêtre, médecin et commentateur d’Aristote (+ 1043)

Esprit libre, Ibn Butlân entreprit de nombreux voyages en Syrie, en Egypte, à Constantinople. Il visita l’État de Mayyafarkin, attiré par sa cour brillante et somptueuse. Il dédia au prince marwanide, pour le distraire, son traité “ Le banquet des médecins” satire des docteurs et de leurs moeurs.

Ibn Butlân rédigea d’autres ouvrages, médicaux, religieux, dont un traité d’hygiène, “Takouïm essaya”, que nous pouvons traduire par “Rétablissement de la santé”. Il se retira à la fin de sa vie dans un monastère près d’Antioche et mourut vers l’an 1066.

Le crépuscule

Les relations d’estime entre Nasr al-Dawla b. Marwan et Elie de Nisibe ne se rompirent qu’à la mort du métropolite qui survint vers l’an 1046. Nasr al-Dawla b. Marwan, en 1054, dut reconnaître la suzeraineté du Seldjukide Tugril Beg, qui dominait la plus grande partie de la Djézira, mais il conserva ses territoires. Il s’éteignit en l’an 1061.

Cette belle période de paix et d’entente entre les Kurdes et les Syriaques fut riche en réalisations dans le domaine de la vie culturelle. Elle fut intense dans celui du commerce, active dans le secteur de l’artisanat et de l’art, bref, impressionnante. Nasr al-Dawla b. Marwan laissa à Diyar Bakr des inscriptions monumentales qui témoignent encore aujourd’hui du rayonnement artistique de son règne.

Après la mort de Nasr al-Dawla, la puissance des Marwanides s’affaiblit, déclina. Son second fils Nizam lui succéda et régna jusqu’en 1079, puis le fils de ce dernier Nasir al-Dawla Mansur.

La fin de la dynastie marwanide approchait à petits pas, dans un parfum de traîtrise... Ibn Djahir, un ancien vizir, quitta le Diyar Bakr, se rendit à Bagdad. Là, il convainquit le sultan Malik Shah, petit-neveu de Tugril Beg, et le célèbre vizir Nizam al-Mulk de lui permettre d’assiéger Mayyafarkin.

Quand la ville fut prise, Ibn Djahir enleva les vastes trésors appartenant aux princes marwanides et les garda jalousement pour lui. Dès 1085, le Diyar Bakr tomba presque entièrement sous l’autorité directe des Seldjukides. Le dernier émir, Nasir al-Dawla Mansur, garda seulement la ville de Djazirat Ibn ‘Umar.

Malik Shah disparut en 1092, il y eut des troubles après sa mort et le Diyar Bakr reprit un peu d’autonomie.

Cependant les Marwanides ne disparurent pas tout à fait. Ils étaient encore mentionnés au milieu du douzième siècle, dans la chronique du patriarche syriaque occidental, Michel le Syrien, écrite en l’an 1195.

Dès 1134, raconte Michel, le Turc Zangi, gouverneur de Mossoul, envahit plusieurs fois le territoire kurde, dirigea des expéditions contre des tribus qui se soumirent à lui, s’empara de leurs citadelles. Après la prise d’Edesse, en 1144, Zangi voulut assurer sa domination sur les émirs voisins. Ces derniers, méfiants, démolirent, dans la région de Nisibe, des forteresses qui ne pouvaient se défendre contre la puissance de Zangi et les laissèrent désertes.

L’un des descendants des Marwanides, Ahmad, détenait encore la forteresse de Hataka à l’époque des croisades. Ce ne fut pas Zangi mais l’émir de Mardin, Timurtas Hosam al-Dîn (+1154), fils du puissant prince Il-Ghâzî , de la famille des émirs Ortuqides, qui désira s’en emparer et l’assiégea longtemps.

Le Kurde demanda bientôt à traiter :

“A cette époque, la place forte de Hataka, qui n’était jamais tombée aux mains des Turcs, était entre les mains d’un homme de la famille des Benê Marwan, qui avaient le titre de rois et leur résidence à Maïpherqat (Mayyafarkin). Il y eut entre ces seigneurs de la discorde, des querelles et des combats. Hosam al-Dîn, voyant que les Curdes n’avaient point d’auxiliaires, et qu’ils étaient opposés les uns aux autres, les assiégea pendant un an et quatre mois. Alors Ahmed demanda à traiter. Timurtas lui donna de l’or et des villages dans son pays, et prit la forteresse. Ensuite le Curde se repentit, et chercha du secours près du seigneur d’Amid, afin de pouvoir reprendre la forteresse; mais il ne put y réussir. ” 7


Ainsi finit la belle épopée des Marwanides, qui avaient régné sur la province du Diyar Bakr, subjugué les peuples voisins. N’avaient-ils pas brillé comme la couronne de neige d’un blanc étincelant sur la haute montagne ? Leur souvenir et celui des chroniqueurs, des savants chrétiens de la Haute-Mésopotamie, demeure aujourd’hui vivaces dans la mémoire des Kurdes et des Syriaques.


Tableau chronologique des princes marwanides

Al-Hasan ibn Marwan (990-997)

Mumahhid al-Dawla Sa’id (997-1011)

Nasr al-Dawla Ahmad (111-1061)



Les ‘Ayubides

Le grand Malik Al-Ashraf

Environ un siècle et demi plus tard, un autre personnage fut le sujet de l’admiration des Syriaques, qui ne tarissent point d’éloges sur lui, Al-Ashraf, prince d’Édesse et de la Djézira. C’était le fils d’Al-‘Adil, frère de Saladin le héros de la Troisième croisade. À la mort de Saladin, Al-Adil et ses fils Al-Kamil, Al-Mu’azzam, Al-Ashraf et Al-Awdad prirent en mains les destinées de l’empire ‘Ayubide. Après la quatrième croisade, lancée par les Francs d’Occident contre Constantinople, Al-‘Adil conclut en 1204 puis en 1211 des trêves avec les rois francs de Jérusalem Amaury II et Jean de Brienne.

Malik Al-Ashraf le victorieux

Pendant ce temps, les Turcs Seldjoukides dont la puissance se développait, débordaient de leurs montagnes sur les plaines de la Syrie du nord et du Diyarbakr. Ils attaquaient, pillaient les territoires ‘ayubides. Selon les circonstances, ils soutenaient la branche ‘ayubide d’Alep, contre leurs cousins d’Égypte et de Haute Mésopotamie.

Ainsi, au début du treizième siècle, Chosroès Shah (1194-1196, 1205-1211), le fils de Kilidj Arçlan II, le grand sultan seldjoukide de Cappadoce s’était allié à l’émir d’Alep, Malik al-Zahir. Il avait été vaincu par les troupes de Malik al-Ashraf. Voici ce que raconte un chroniqueur syriaque, l’Édessénien anonyme :

“…Malik al-Ashraf quitta Mabbug avec ses soldats et des Arabes en grand nombre et livra bataille à l’armée des Rum. Les Rum furent vaincus et les Arabes saisirent les soldats de Chosroès Shah par vingtaines et trentaines; le reste prit la fuite. Alors les Arabes et les soldats de Malik al-Ashraf pillèrent leurs chevaux et les biens des Rum, après que le pays eut tremblé devant les soldats de Chosroès Shah. Ce fut la deuxième victoire de Malik al-Ashraf. Les intentions de Malik al-Ashraf étaient très bonnes envers tous; depuis son enfance il ne fit de tort à personne.” 8


La Mansoura

Malik al-‘Adil, qui avait engagé une politique conciliante avec les Francs, fut déçu quand le pape Honorius III encouragea la cinquième croisade, qui prit la riche Égypte pour objectif.

À l’appel du pape, le duc d’Autriche Léopold et le roi André II de Hongrie s’embarquèrent le 27 mai 1218. Ils se mirent d’accord pour aller assiéger la forteresse du Mont-Thabor, bâtie par Malik al-’Adil afin de contrôler la Galilée. Ils échouèrent à la prendre. Le roi de Hongrie repartit dans son pays.

Jean de Brienne, roi de Jérusalem, proposa au duc d’Autriche et aux barons francs d’attaquer l’Égypte. Ils remontèrent le Nil jusqu’à Damiette, ville fortifiée située dans les parages du Caire. Ils l’encerclèrent comme d’un anneau, et, durant deux ans, l’assiégèrent. Ils prirent la citadelle le 25 août 1218.

Près de Damas, le grand sultan Malik al-’Adil, âgé de soixante-seize ans, apprit la nouvelle et succomba à une crise cardiaque, le 31 août 1218. Il fut enterré à Damas, dans la madrasa ‘Adiliya.

La ville de Damiette toute entière tomba entre les mains des Francs le 5 novembre 1219. Les soldats exterminèrent les habitants, et pillèrent les trésors.

Malik al-Kamil, fils d’Al-‘Adil, sultan du Caire, était un lettré, un philosophe, un homme tolérant. Il voulait mettre fin à l’invasion franque, mais désirait éviter toute bataille sanglante. Il proposa plusieurs fois au roi des Francs la restitution de l’ancien royaume de Jérusalem, contre l’évacuation du port fortifié de Damiette. Jean de Brienne et les barons syriens voulaient accepter l’offre du sultan, mais le légat du pape, le cardinal Pélage, un Espagnol orgueilleux, refusa net. En juillet 1221, le cardinal qui voulait s’emparer de l’Égypte entière, prépara une expédition. Il décida de quitter Damiette, d’aller prendre le Caire et il se mit en route.

Alors, le sultan d’Égypte Malik al-Kamil et ses frères, le loyal Malik al-Ashraf, seigneur de Mésopotamie (Djezira et Edesse), et Malik al-Mu’azzam, seigneur de Jérusalem et de Damas, rassemblèrent leurs soldats. Ils allèrent camper à Mansoura, au sud de Damiette. La guerre fut engagée. Au début août, les Égyptiens, observèrent que la crue du Nil était proche. Ils savaient que les Francs, qu’ils avaient entraînés loin de Damiette, seraient bientôt dans l’obligation d’arrêter leur marche sur ces terres boueuses. Ils coupèrent la retraite des chevaliers vers Damiette. Le 26 août 1221, ils ouvrirent les digues et inondèrent les terres basses. L’Édessénien anonyme écrit :

“Les deux partis s’affrontèrent. Et selon leur mauvaise habitude, les soldats francs se hâtèrent et se jetèrent sur les Musulmans. Lorsque les soldats musulmans virent la mauvaise tactique des Francs, ils les entraînèrent loin de Damiette. Une fois les Francs éloignés, les soldats des Musulmans se hâtèrent d’occuper le camp des Francs et la route pour qu’ils ne puissent pas rentrer à Damiette. Et les Musulmans se mirent à anéantir les Francs. L’épée travailla ainsi jusqu’à la neuvième heure; Musulmans et Francs furent fatigués par la bataille de toute la journée. Mais les Francs désespérèrent de leur vie, car les Musulmans avaient occupé la route de Damiette et le camp des Francs; ils ne savaient plus que faire. Ils levèrent les yeux et aperçurent un lieu élevé. Alors, ils tournèrent le dos et coururent vers cet endroit élevé. Les Musulmans en éprouvèrent une grande joie. Ils travaillèrent toute la nuit et amenèrent le grand Nil et le mirent autour de l’endroit où étaient les Francs qui restèrent là mourant de faim, eux et leurs chevaux, pendant trois jours.”


Enlisés, affamés, les Francs se replièrent en désordre. Ils s’empressèrent de traiter avec les Musulmans. Ils leur rendirent Damiette.

Le chroniqueur conclut :

« Ce fut la troisième victoire de Malik al-Ashraf de bonne mémoire, à cause de sa bonne volonté et de ses bonnes intentions envers tous. »9

Après l’échec de l’expédition d’Égypte, le 30 août 1221, Jean de Brienne et les Francs conclurent avec Al-Kamil une trêve de huit ans.


Al-Ashraf, le doux émir d’Édesse et de la Djézira

En 1223, la sécheresse sévit en Orient, depuis Babylone jusqu’à la frontière d’Alep. Les sauterelles dévastèrent les récoltes. Le prix du blé, de l’orge, des lentilles monta. Désespérés, affamés, les habitants de la Djézira et d’Édesse prièrent pour que Dieu envoyât la pluie. Les gouverneurs d’Édesse, de Harran, de Sarug, de Resh’Ayna, selon la loi imposée par le gouverneur de Mardin, prirent les grains de blé et d’orge des agriculteurs pour le donner aux paysans pauvres. Mais ceux-ci en semèrent peu et mangèrent le reste. Pendant des années, il n’y eut pas de récolte. Les gouverneurs se comportèrent mal, laissant commettre beaucoup d’injustices. L’Édessénien anonyme prend la défense de Malik al-Ashraf :

« La langue ne peut décrire les souffrances et les tortures, les pots- de-vin qu’on donnait aux préposés. Le doux et miséricordieux sultan Malik al-Ashraf n’était point au courant de ce que supportaient les gens d’Édesse, de Harran, de Sarug, et de Resh’Ayna, mais il commandait que la semence soit donnée avec mesure aux paysans. » 10

Malik al-Ashraf défait Galal al-Din, le grand sultan, roi des Persans

Galal al-Din, de la dynastie des Kharezm-Shahs (1077-1231) qui gouvernait en Asie centrale et en Iran, fut battu par les Mongols en 1219 et en 1221. Il s’avança en Asie Mineure. Les princes ‘Ayubides se portèrent au secours du sultan seldjoukide, Kay Qubad Ier de Cappadoce (1220-1237), qui était inquiet des progrès du Khwarezm-Shah de Perse.

Malik al-Ashraf, prince de Djézira, commanda les troupes du nord et monta auprès du sultan de Rum, pour combattre l’ennemi persan commun.Le 10 août 1230, Galal al-Din fut défait par Malik al-Ashraf. Laissons le chroniqueur syriaque relater cette victoire :

“Malik al-Ashraf monta avec les soldats et parvint auprès du sultan de Rum. Et l’armée de Rum se prépara au pays d’Arzinğan. Quant aux troupes de Malik al-Ashraf, elles partirent et montèrent dans la région de la ville de Sébaste. (Les deux armées) parvinrent l’une en face de l’autre et les deux lignes de bataille se firent face. Les deux parties s’encouragèrent pour la grande bataille; des peuples innombrables étaient rangés et se tenaient armés en face les uns des autres, assoiffés du sang les uns des autres. Les Persans se mirent à combattre l’armée de Rum dans la région d’ Arzinğan où étaient campés les Rum. Lorsque les soldats de Malik al-Ashraf virent que les Rum étaient attaqués, ils s’encouragèrent, s’irritèrent et furent enflammés de feu. Ils firent fi de leur vie temporelle et s’approchèrent des Persans. Lorsque les Persans virent les soldats puissants de Malik al-Ashraf, la terreur les envahit; et les Musulmans de même s’effrayèrent des Persans. En ce temps, le Seigneur s’irrita contre les Persans et octroya la victoire aux Musulmans. Et le Seigneur fit venir contre les Persans un vent de tempête insupportable, plein d’obscurité à cause de la poussière soulevée par les soldats des Musulmans. Une nuée sombre fut sur les Persans qui tournèrent le dos pour fuir devant les soldats de Malik al-Ashraf, sans que ni les lances ni les flèches des Musulmans les aient atteints, sinon, peut-être, le bruit des trompettes et des tambours et le hennissement des chevaux. Les Persans s’enfuirent et furent défaits devant les Arabes.”


Galal al-Din s’enfuit au voisinage de son pays. Ses ennemis, les Tatars, l’une des tribus mongoles, qui étaient proches de la frontière des Persans, le pourchassèrent jusqu’aux villes d’Ahlat et d’Amid. Il quitta cette cité. Le chroniqueur ajoute :

“On raconte cependant qu’il fut tué près de Mayyafarkin, [Maïphercat]. Certains disent qu’il parvint à Babel. Le Seigneur seul sait ce qui arriva.”11

En vérité, Galal al-Din, réfugié à Diyarbakr, fut assassiné par un paysan kurde le 15 août 1231. Malik al-Ashraf régna encore quelques années. Après une vie riche et glorieuse, il mourut en 1237. Un autre chroniqueur syriaque, Bar Hébraeus, fit son éloge funèbre : Il était loyal, doux, généreux, miséricordieux, plein de bonne volonté et de bienveillantes intentions envers tous, il aimait beaucoup la chasse et tous les plaisirs de table :

« Au commencement de l’année 635 des Arabes (1237), Malik al-Ashraf ‘Isa, le fils d’Al-‘Adil, le fils de ‘Ayub, mourut à Damas âgé d’environ 60 ans. Il n’y avait pas de limite à la générosité de cet homme, il était un grand amateur des mets délicats et des repas luxueux. »12

D’après ce volet historique, l’on remarque que les princes de deux dynasties, les Marwanides et les ‘Ayubides de la Djézira, entretinrent des rapports forts, amicaux et chaleureux avec les chrétiens syriaques et les chroniqueurs ne manquèrent pas de louer cette période et l’action de ces princes éclairés.

J’ai le sentiment que l’histoire se répète dans cette région du Kurdistan et que la compréhension, la coopération, l’entente brillent encore aujourd’hui entre les Kurdes et le peuple assyrien-chaldéen-syriaque, ami et allié, qui vit dans cette région depuis des siècles . Tous ont un destin commun.


Références des chroniques syriaques

Chronographie d’Élie de Nisibe, E.W. BROOKS et J.B.CHABOT, CSCO, 62, syr, 21-22. (1909-1910)

Chronique de Michel le Syrien, J.-B. CHABOT, Paris, 1899-1910., réédition, Bruxelles, 1963.

Chronique de l’Édessénien anonyme, traduit par Albert ABOUNA, CSCO, 354, syr, 154, Louvain, 1974.

Chronicon syriacum, de Bar Hébraeus, Paulus BEDJAN, éd. Maisonneuve, Paris, 1890.

1 La « Chronographie d’Elie bar-Sinaya, Métropolitain de Nisibe », édition et traduction L.-J. Delaporte, Paris, 1910, P. 138.

2 Idem, p. 138.

3 Idem, p. 141

4 Idem, p. 141.

5 Bar Hébraeus, « Chronique universelle », Mokhtassar al-Doual, Beyrouth, P. 180.

6 Usaybia, « Uyun Al Anba Fi Tabaqat Al Atibba”, recueil de 380 biographies, publié en Egypte en 1921, réédité à Beyrouth, p.341, traduction Ephrem-Isa YOUSIF.

7 Chronique de Michel le Syrien, Tome III, p. 264.

8 L’Édessénien anonyme, II, p. 162.

9 L’Édessénien anonyme, II, 171-172.

10 L’Édessénien anonyme, p. 170.

11 L’Édessénien anonyme, pp. 176-177.

12 B.H., Chronicon syriacum p. 472.

Les Syriaques racontent les Croisades


L’actualité des Croisades

Les croisades sont d’une grande actualité. De nombreuses études, des ouvrages savants, des romans, des articles, évoquent le premier pèlerinage armé qui s’ébranla, il y a neuf siècles, et les expéditions outre-mer qui suivirent. Des films ravivent les mémoires. La figure ardente et pieuse de Godefroy de Bouillon brille encore ; celle de Saladin, le conquérant kurde, l’unificateur d’une grande partie du Proche-Orient, le champion emblématique d’un Islam puissant, fascine et attire. Son tombeau à Damas est très visité.

En France, comme dans d’autres pays européens, les manuels scolaires, s’appuyant sur les récits des chroniqueurs occidentaux, présentèrent les croisades comme des guerres justes. Ils en firent une geste, exaltant la magie des héros qui s’identifiaient à une noble cause, la délivrance de Jérusalem, magnifiant leur générosité, leur dynamisme, leurs victoires. Il fallut attendre le siècle des Lumières, pour que des écrivains, tel Voltaire, dénonçassent la brutalité, la violence, l’intolérance de ce cycle épique regorgeant de tués.

Les auteurs musulmans du Moyen-âge virent dans la croisade deux forces qui cherchaient à s’imposer, à occuper le territoire, plutôt que deux civilisations prêtes à s’entrechoquer. Dès le XIVeme siècle, le monde musulman, arabe ou turc, oublia presque les luttes des Francs, établis sur une bande côtière du littoral méditerranéen, contre les sultans, les émirs. Il négligea les traces de ces événements épisodiques. Au XIXeme siècle et au XXeme siècle, il commença à se réveiller politiquement et religieusement, lors des mandats confiés à l’Angleterre et à la France pour administrer certains États ou territoires, et de la décolonisation. Depuis, il est revenu sur cette page d’histoire, l’a actualisée.

Ces deux visions des événements, soit pour encenser les croisés, soit pour les accabler, dénoncer leurs fureurs épicées, leur démesure, manquent de nuances. Je veux montrer un autre point de vue, celui des chroniqueurs syriaques qui me paraît plus objectif, plus impartial. Michel le Grand (1126-1199), l’Édessénien anonyme (il écrit avant 1237) et Bar Hébraeus (1226-1286) vécurent à cette époque-là et relatèrent l’aventure des croisades, qui toucha les chrétiens syriaques. Leurs textes, peu connus du grand public et souvent inédits, apportent au lecteur moderne un autre éclairage.

Les trois chroniqueurs syriaques

Michel le Grand naquit à Malatiya, l’ancienne Mélitène, importante ville de la Petite Arménie, dans la région de Cappadoce. Il devint patriarche en 1166, et gouverna l’Église syriaque occidentale pendant 33 ans. Il vécut à l’époque des premières croisades. En 1177, il rencontra le roi de Jérusalem Baudouin IV à Acre, après sa grande victoire sur l’émir Saladin à Montgisard. Il écrivit une riche chronique qui fait aujourd’hui toute sa gloire.

L’ Édessénien anonyme, peut-être un religieux, vécut probablement à Édesse. Il fut le contemporain des événements qui se déroulèrent de 1184 à 1237. Il se trouvait à Jérusalem lorsque Saladin l’assiégea et la prit en 1187. Il donna sa version du siège dans son originale et vivante Chronique.

Gregorios Abu’l-Faradg Gamal al-Din, dit Bar Hébraeus, vit le jour près de Mélitène. Il fut élevé en 1264 à la dignité de Maphrien, grand métropolite, primat pour les pays de l’Orient. Il écrivit en syriaque une Chronographie, et relata les derniers événements des croisades, jusqu’à la chute de Saint Jean d’Acre qui tomba aux mains des Mamelouks en 1291 et signa la fin de la présence franque au Proche-Orient.

Qui sont les Syriaques ?

Les Syriaques, (en arabe : suryan), formaient un peuple, une nation, avec son histoire, sa religion chrétienne, sa culture, sa langue, l’araméen syriaque. Ils ne réussirent pas à créer un royaume terrestre, un État avec une administration, une armée, comme les Arméniens ou les Grecs.

Au Ve siècle, ils se divisèrent en deux branches. Les Syriaques orientaux dits « nestoriens » s’étaient établis surtout en Mésopotamie et en Iran. Les Syriaques occidentaux comprenaient les « jacobites » qui résidaient en Syrie, en Haute Mésopotamie, et les maronites du Liban.

Les Syriaques vécurent en Orient, au sein des grands empires, sur des terres battues par les vents. Au fil des siècles, ils virent arriver de multiples invasions, ils subirent, vague après vague, les assauts des cavaliers grecs, romains, perses, arabes, turcs seldjoukides, et plus tard, les offensives des Mongols. Ils connaissaient peu les Francs venus des contrées lointaines d’Europe occidentale quand, à la fin du XIeme siècle, ils débarquèrent en Syrie et en Palestine, résolus à se battre contre les Musulmans, pour la délivrance du tombeau du Christ à Jérusalem. Les Francs fondèrent en Terre sainte des royaumes, des principautés, des comtés, construisirent un réseau de forteresses qui assuraient la sécurité des pays.



L’état des lieux au Proche-Orient du XIe siècle au XIIIe siècle

Les jeux, au Proche-Orient, n’étaient pas aussi tranchés qu’on le raconte. Au XIeme siècle, il était autant peuplé de chrétiens, Coptes, Arméniens, Grecs, Syriaques, que de musulmans. Ceux-ci comprenaient des Arabes, des Turcs, des Kurdes. L’empereur de Constantinople n’hésitait pas à engager dans son armée des contingents musulmans et l’émir de Shayzar, des chrétiens arméniens. Leur foi opposait plutôt les chrétiens de multiples confessions entre eux.

De même, les princes musulmans de l’Orient se faisaient la guerre pour prendre telle ou telle ville et y installer leur dynastie.

À Bagdad, les califes Al-Moustazhir et ses successeurs, sans grande force militaire, n’attachèrent pas une si grande importance à la Croisade qui les concernait peu. Jérusalem était loin.

Les Francs, au XIIIeme siècle, n’occupaient en Syrie-Palestine qu’une bande côtière. Ils n’avaient pu prendre Le Caire, Damas, Alep, Mossoul, Bagdad et bien d’autres villes et contrées du monde musulman.

Quant aux Francs, il leur arrivait de jouer un subtil jeu politique. Ils n’hésitaient pas à choisir, lors de certaines circonstances, l’alliance des émirs musulmans. En 1115, ils conclurent un pacte d’alliance défensive avec les émirs d’Alep, de Damas et de Mardin contre le commandant Boursuq de Mossoul, envoyé par le grand sultan turc seldjoukide du Khorasan. Le vizir d’Égypte, Chawer, demanda l’aide du roi de Jérusalem, Amaury.

Les Syriaques, qui vivaient entre deux camps, relatèrent les tentatives des Musulmans pour combattre les Francs après leurs premiers succès. Ils consignèrent les défaites mais aussi les victoires des Turcs Seldjoukides, Ortuqides, Zengides, et des Kurdes ‘Ayubides.



Les croisades, ni guerres de religions, ni conflits de civilisations

Les auteurs syriaques insérèrent les fils brillants et colorés de la Croisade, œuvre politique et aventure spirituelle, dans la trame de leur propre histoire.

Ils ne parlèrent pas, à propos des Croisades, d’invasion barbare, d’agression, de viol de territoire, selon les expressions de certains auteurs modernes. Ils racontèrent les « voyages Outre-mer », « l’exode » des Francs, à Jérusalem et au Proche-Orient, qui partaient délivrer le tombeau du Christ, tombé aux mains des Musulmans, et venaient en aide aux chrétiens orientaux. Ils n’utilisèrent pas les mots « croisades », « croisés ». Ils ne numérotèrent pas ces expéditions.

Les chroniqueurs syriaques ne virent pas la Croisade sous l’angle d’une fracture entre l’Orient et l’Occident, au sens habituel de ces termes. Selon le texte du grand patriarche d’Antioche, Denys de Tell-Mahré (818-845), repris par notre chroniqueur Michel le Grand, l’Orient désignait pour eux les régions situées à l’est de l’Euphrate ; l’Occident celles qui s’étendaient à l’ouest du fleuve, jusqu’aux confins de la Palestine.

Après la chute d’Édesse en 1244 et la fin du premier comté franc, en 1146, les communautés chrétiennes, jacobites et nestoriennes, du Proche-Orient vécurent en grande majorité à l’extérieur des États latins. Elles subirent le contrecoup des Croisades qui ne faisaient pas partie de leurs traditions. Elles se tinrent, le plus souvent, hors de l’influence des Francs. Ces communautés gardèrent leurs appartenances ethniques et confessionnelles ; elles s’intéressèrent peu aux motivations idéologiques des croisés, à leurs régimes politiques, à leur société féodale, à leur vie économique et culturelle ; elles restèrent méfiantes envers les coutumes venues d’Occident.


Le bilan mitigé des Croisades

Les Croisades apportèrent des malheurs, une incompréhension entre les peuples. Elles ne furent cependant pas le grand affrontement entre les envahisseurs francs obéissant à des motivations politiques, religieuses, économiques, et les musulmans. La véritable frontière n’était pas entre les chrétiens et les musulmans, dépourvus de haine confessionnelle, elle passait entre les vainqueurs et les vaincus, les maîtres du pouvoir et les autochtones, les oppresseurs et les opprimés.

Les Francs découvrirent en Orient des richesses inconnues, comme la canne à sucre, l’aubergine, l’épinard, l’échalote, l’abricot, la bigarade, la pastèque, les dattes. Ils importèrent en Occident les roses, les mousselines, les tissus damasquinés.

L’on évoque un possible choc des civilisations. Si l’on renonce à la tolérance, le risque d’un tel choc pourrait exister. L’Europe est cependant l’héritière, comme le monde arabo-musulman, des civilisations méditerranéennes ouvertes aux échanges et au progrès. Les cultures sont différentes, mais elles doivent se compléter, s’enrichir.

Les habitants de la planète, enfants du soleil et du ciel étoilé, interdépendants, ont mieux à faire qu’à s’affronter. S’ils veulent bien écouter la Science et la Sagesse, ils doivent renouer le dialogue, fixer les yeux vers un horizon commun, développer un humanisme universel. De nombreux maux menacent aujourd’hui la terre, la pauvreté, la maladie, l’ignorance, la destruction de l’environnement. Ces graves problèmes transcendent largement les barrières de race, de culture, de religion.

Les Éditions l’Harmattan, 352 pages, 2006

mercredi 13 avril 2005

Les ruses de la chanteuse d'Édesse

Les Syriaques écrivirent de nombreuses chroniques, qui nous rapportent des événements lointains et précieux.

L’auteur

L’auteur, anonyme, était peut-être un religieux, syriaque occidental, qui vécut à l’époque des premières croisades. Il donne beaucoup de détails sur la ville d’Edesse, avec l’accent d’un témoin oculaire. Il est le contemporain des événements qui se déroulèrent de 1187 à 1237. Il se trouvait à Jérusalem en 1187, lors du siège de la ville par l’émir Salah al-Din.

La chronique

La Chronique de l’Edessénien anonyme fut composée après l’an 1237. Elle comprend deux sections.

La Chronique civile va jusqu’aux événements de 1234, mais devait à l’origine aller jusqu’à l’année 1237.

La Chronique ecclésiastique raconte l’histoire des patriarches jacobites. Très abîmée, elle se termine en 1204 et complète la Chronique de Michel le Syriaque. L’auteur affirme qu’il rédigea d’autres livres. Qui était-il ?

Nous avons choisi, dans la Chronique civile, une anecdote intéressante qui montre le sang-froid et l’héroïsme d’une femme d’Edesse au onzième siècle.

L’Edessénien anonyme se reporte à l’arrivée des Turcs seldjoukides. Dès 1055, événement capital, ils occupèrent Bagdad, dominèrent peu à peu la Mésopotamie, soumirent les princes arabes. Sous le règne du grand sultan Malik Shah (Abu‘-Fatah dans la chronique), ils progressèrent en Syrie, en Djézira, en Anatolie.

Lorsque mourut Malik Shah (1072 -1092 A.D.), dans la région perse du Khorasan, il laissa des enfants en bas âge.

Ses sujets, les gouverneurs de Syrie, gardèrent leurs villes et n’obéirent plus à personne. Ils en profitèrent pour se disputer les cités les uns aux autres.

Le général turc Buzan, détenait le pouvoir à Edesse, dont il s’était emparé en 1087. Il y avait nommé un chef grec, Thoros, fils de Hétoum. Buzan alla à Damas, fit la guerre au gouverneur Tutus. Il fut vaincu et fait prisonnier. Tutus dépêcha alors des soldats à Edesse pour prendre la ville, mais les habitants refusèrent de la lui livrer. Tutus, en colère contre Edesse, trancha la tête à Buzan et l’envoya avec le général Al-Firg, qui entra dans la citadelle et occupa la ville.

" Tutus avait donné ordre à Al-Firg de livrer Edesse au pillage de ses soldats, parce qu’on ne l’avait pas rendue dès le début. Quand Al--Firg était dans la citadelle de la ville, tous les jours ses officiers insistaient auprès de lui pour piller la ville, et lui les retenait de jour en jour. Un jour, il offrit un banquet dans la citadelle aux chefs de son armée. Il fit chercher tous les chanteurs de la ville et une chanteuse appelée Qira Gali, une chrétienne. Lorsque son coeur ( Al--Firg) fut égayé par le vin, les chefs de son armée s’approchèrent de lui et lui demandèrent d’accomplir sa promesse de piller la ville. Il leur fit serment que le lendemain il donnerait l’ordre de piller la ville. Il parlait en langue persane, mais la chanteuse comprit la conversation. Aussitôt elle imagina une ruse astucieuse : elle se mit à geindre d’un mal d’estomac. Ils lui demandèrent ce qu’elle désirait qu’on lui apportât. Mais elle leur dit qu’elle avait l’habitude de ce mal et que lorsqu’il la prenait rien ne la soulageait que le bain. Alors ils lui permirent d’aller au bain. Descendant de la citadelle, elle alla tout de suite chez Théodore fils de Hétom et l’informa de cette affaire. Alors il lui dit : "ô femme, le sang de toute la ville est entre tes mains. Vois comment tu sauveras la ville." Il lui donna sa propre bague; quand celle-ci touchait n’importe quelle nourriture ou boisson, elle tuait instantanément. Elle prit donc la bague et remonta à la citadelle, comme si son mal s’était calmé. Les invités s’en réjouirent. Dans cette allégresse, elle se leva pour danser, prit une coupe de vin et dansa d’une façon lascive. Elle trempa la bague dans la coupe après la danse, s’avança et la présenta à Al-Firg. L’ayant bu, il se mit à se plaindre de son estomac. Elle lui dit : "Seigneur, hâtez-vous d’aller au bain; car moi c’est au bain que j’ai été délivrée de mon mal." Il descendit au bain; elle lui ôta ses vêtements et entra avec lui. Une fois entré dans la demeure intérieure, il rendit aussitôt l’âme. Elle sortit, disant aux énuques et serviteurs qui se tenaient à la porte : "Le roi dort, gardez-vous de le déranger." (II, P. 38-39)


Les soldats turcs coururent aux bains, trouvèrent leur commandant mort et prièrent les habitants de les laisser sortir sains et saufs de la ville. Ceux qui restaient dans la citadelle envoyèrent informer Tutus de Damas de ce qui était arrivé. Tutus, qui se préparait à venir à Edesse avec ses troupes, tomba malade et mourut. Théodore, fils de Hétom, acheta alors la citadelle au chef des Turcs qui s’en alla.

Ainsi la cité d’Edesse fut sauvée par une femme courageuse, habile, comme une héroïne de la Bible. Judith, pour sauver la ville de Béthulie, séduisit le général de Nabuchodonosor, roi des Chaldéens, Holopherne et lui coupa la tête quand il fut ivre.(Le livre de Judith)

Edesse retourna aux Romains jusqu’à l’arrivée des croisés Francs. En 1097, après la disparition de Thoros, fils de Hétom, assassiné par ses sujets, les Francs en firent la capitale d’un comté.

Publication

Le manuscrit unique syriaque fut trouvé à Constantinople en 1899 par le patriarche syrien catholique Ignace Ephrem II Rahmani. Il datait peut-être de la fin du XIV e siècle.

-Publié par I. Rahmani

1904, le premier fascicule du texte.

1911, le deuxième fascicule.

-Publié par J.-B.Chabot, 1916, CSCO 81/Syr.36 et 82/Syr.37

Traduction

Traduction anglaise partielle, " The first and Second Crusades from an anonymous Syriac Chronicle" par A. S. Tritton, JRAS, 1933

La chronique de 1234, II, fut traduite en français par Albert Abouna, Louvain, CSCO, VOL.354, Tomus 154, 1974

Traduction arabe par A. Abouna, Bagdad, 1986.

Les Syriaques et leur roi


En rouge le Patriarcat de Bagdad, en vert les Métropoles.
(d'après Le Coz, Histoire de l'Eglise d'Orient)

Les Syriaques se plaignent parfois de n’avoir pas eu de rois à l’ère chrétienne. Ils en eurent un sous le règne des Mongols.


Le roi Mas’ud

Le roi Mas’ud vécut à l’époque des Mongols, tribus d’Asie Centrale, qui s’unirent sous la direction d’un chef exceptionnel Temûjin (Gengis Khan) en 1206 et se lancèrent dans une politique de conquêtes. A l’est, ils s’emparèrent de la Chine des Song et du Tibet. A l’ouest, ils prirent et saccagèrent Bagdad en 1258, mettant fin à la dynastie des califes arabes Abbassides. Ils fondèrent un immense empire qui s’étendait de la mer de Chine à l’Euphrate et à la Volga.

Les chrétiens de Syrie, de Palestine, de Mésopotamie et d’Asie Mineure avaient attendu l’arrivée des Mongols, espérant une amélioration de leur condition.

Ils vécurent un grand changement : Ils n’étaient plus des “Dhimmi,” sujets de l’Islam, citoyens de second rang. Comme les fidèles des autres religions, ils se retrouvaient égaux en droit devant l’autorité du Roi des Rois, dans un Khanat où régnait la tolérance et où les communications se développaient, avec la Chine, avec l’Europe.

Les chrétiens de langue syriaque, nestoriens et jacobites, vécurent sous les premiers Il-khans de Perse une période paisible et florissante, élevant à nouveau leurs églises, leurs couvents, étendant leurs missions, accroissant leur production littéraire.


La chronographie

Pour raconter l’histoire du roi Mas’ud, nous nous inspirerons de “ The Chronography of Gregory Abu’l-Faradg. » , un médecin, un maphrien (primat pour les pays de l’Orient), un grand écrivain syriaque occidental, qui vécut à la cour des Mongols. Il fut connu des Européens sous le nom de Bar Hébraeus (1226-1286).

La chronographie, écrite en syriaque, va de la création du monde à l’invasion des Mongols. Elle se divise en deux parties, Chronicon syriacum, consacrée à l’histoire politique et civile des pays de l’Orient, et Chronicum ecclesiasticum qui traite de l’histoire des Patriarches de l’Église.


Les origines de Mas’ud

En 1276, sous le règne de l’Il-Khan de Perse ’Abaqa ( 1265-1282), arrière petit-fils de Gengis Khan, sortit du rang le célèbre gouverneur chrétien pour les Mongols, Mas’ud de Bar Qawta. C’était le fils d’un riche marchand qui décida un jour d’aller avec une caravane, visiter et saluer le Grand Khan Koubilai à Pékin

“En ce temps-là, le grand marchand chrétien A’lam al-Din Ya’qub partit dans l’intention de se mettre au service de Koubilai, le Grand Khan. Il était originaire de Bar Qawta, village du pays d’Erbil ” 1

A’lam al-Din Ya’qub était accompagné par tous ses fils et par l’émir ‘Ashmut, un grand homme respecté auprès de la tribu des Ouïgurs, qui menait une vie ascétique.

Au cours de son voyage, la mort frappa le marchand sur le territoire du Khorasan. L’émir ‘Ashmut décida alors d’écourter le voyage et d’aller rendre hommage à l’Il-Khan Abaqa

‘Ashmut prit les enfants [du commerçant] et les conduisit à Abaqa pour le servir. Celui-ci les accueillit avec bonté. Il nomma Mas’ud, le fils aîné, gouverneur civil de Mossoul et d’Erbil et l’émir ‘Ashmut fut nommé son administrateur.” (Chronography, P. 535 )


Le gouvernement de Mas’ud

Mas’ud gouverna, nous savons qu’il eut affaire aux Kurdes voisins des montagnes, qui depuis 1260, attaquaient parfois les villages chrétiens de la région. Le 7 juin 1277, ils firent un raid contre le couvent syrien occidental de Mar Matta, près de Mossoul, et enlevèrent des moines.

En 1278, les ennuis, les rivalités commencèrent. Le gouverneur fut calomnié par le persan Nasir al-Din Papa, l’ancien gouverneur de Mossoul nommé en 1266, qui l’accusait ainsi que le noble ‘Ashmut de détruire le pays de Mossoul. Les deux gouverneurs furent écartés du pouvoir après une commission d’enquête. Papa gouverna à leur place.

Mas’ud et le noble ‘Ashmut accusèrent Papa et ses juges de corruption. En 1280, ils allèrent chez Abaqa et lui demandèrent de rouvrir l’enquête qui dura un mois. Papa le traître fut exécuté en même temps qu’un persan Djalal al-Din Turan, le 8 août, sa tête exhibée à Mossoul.

“Ces gouverneurs chrétiens régirent de nouveau le pays de Mossoul et d’Erbil, et ils triomphèrent noblement. Ils acquirent une grande renommée ” (Chronography, P. 543)

Les parents des condamnés persans préparaient une attaque. Durant l’été 1281, ils accusèrent Mas’ud d’avoir volé l’argent de la famille de Djalal al-Din Turan. Le gouverneur, arrêté et torturé, promit de verser 500 0000 dariques. Ramené à Mossoul, il réussit à s’enfuir en cours de route. Son cousin Su’aydath fut torturé à mort.


Mas’ud, roi de Mossoul et de la région

Désireux de venger leur père, les fils de Djalal al-Din Turan, assassinèrent l’émir ‘Ashmut en l’an 1284 ( 1595 sél.), lors de l’accession au trône d’Arghun, le nouvel Il khan (1284-1291).

Quant à Mas’ud de Bar Qawta, il fut nommé roi de Mossoul et de ses environs par Arghun :

“En 1595, il nomma Mas’ud, fils de A’lam al-Din Ya’qub, roi pour Mossoul et sa région et tous les chrétiens se réjouirent. ” (Chronography, P. 554)

Le 17 juin 1286, 4 000 brigands et 300 cavaliers mamelouks arrivèrent devant Mossoul, après avoir ravagé la contrée et pillé le couvent de Mar Matta. Le roi Mas’ud s’enfuit devant eux, et se réfugia dans la citadelle. Les habitants de religion musulmane, trop confiants, laissèrent entrer dans la ville leurs coreligionnaires.

Les chrétiens, effrayés, s’étaient réfugiés avec leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux, dans la demeure maison d’un généreux notable, le naqib des Alides, l’une des factions musulmanes. Les maraudeurs, avertis, se dirigèrent vers la maison, ils escaladèrent les murs, violentèrent les femmes et les filles, pillèrent musulmans et chrétiens. Ils pillèrent encore les quartiers commerciaux et celui des Juifs. Ils emmenèrent en partant 500 esclaves.

Mas’ud n’avait pu empêcher ce pillage.


La fin de Mas’ud

L’histoire de Mas’ud finit mal.

Le roi de Mossoul ne fit pas un bon choix en soutenant, en 1289, Boqa, le trésorier d’Arghun. Ce dernier avait sauvé, sous le règne du roi des rois précédent, Tegüder Ahmed, la vie d’Arghun, qui dès son accession l’avait nommé Grand Émir. Mas’ud n’adressait ses salutations qu’à Boqa, n’obéissait qu’à lui. Il croyait que le Grand Émir était supérieur à tout le monde.

Boqa, en effet, se montrait hautain, impitoyable, il se faisait des ennemis des autres émirs. Accusé de complot contre Arghun, il s’enfuit. Repris, il fut exécuté le 14 janvier 1289. sa chute entraîna celle de Mas’ud.

Les Mongols demandèrent au roi chrétien de Mossoul dix myriades d’or. Malade, il céda et versa la somme. Il fut alors amené à Erbil et mis à mort le 4 avril 1289. Ses parents furent pourchassés. Sa royauté avait duré cinq ans.

Un Arménien fut nommé à sa place gouverneur de Mossoul.


Les rois mongols

Hulagu (1256-1265).

‘Abaqa (1265-1282).

Tekûder ‘Ahmâd (1282-1284).

‘Arghun.( 1284-1291).

Bibliographie

Chronicon syriacum : Editions en Syriaque

-Bar-Hebraei, Chronicon syriacum, publiée par P.J. Bruns et G.G. Kirsch, 2 volumes. Leipzig, 1789.

-Gregorii Barhebraei, Chronicon syriacum, éditée par Paulus Bedjan, Maisonneuve, Paris, 1890.

Edition vocalisée et notée en syriaque (sans traduction), Paris, 1890

-E.A.Wallis Budge, “ The Chronography of Gregory Abu’l-Faraj, 1225-1286, 2 vol, II (fac similé du texte), Londres, 1932, reimpr. Amsterdam, 1976.

-Réédition du texte syriaque, Julius Y.Ciçek, Losser, Hollande.



Traductions

-P.J. Bruns et G.G. Kirsch, Chronicon syriacum, traduction en latin, Leipzig, 1789.

- E.A.Wallis Budge, “ The Chronography of Gregory Abu’l-Faraj, 1225-1286, 2 vol., I (traduction anglaise), Londres, 1932, reimpr. Amsterdam, 1976.

-Chronicon syriacum, traduction du syriaque en arabe, faite par Ishaq Armaleh, éditée dans les numéros des années 1949-1956 de la revue el-Machreq de Beyrouth.

La même traduction arabe rassemblée en un volume, éditée par Dar el-Machriq, Beyrouth, 1986.


1 Ernest A. Wallis Budge, The Chronography of Gregory Abû’l-Faraj, 1225-1286, known as Bar Hebraeus, translated from the Syriac into English, London, 1932, Apa-Philo Press, Amsterdam, 1976. P. 535. Traduction fr. E.-I.YOUSIF.