Un premier Congrès mondial se déroula à Erbil du 6 au 9 septembre 2006 sur la Kurdologie. J’eus l’honneur d’y participer. J’y fis un exposé sur deux brillantes dynasties kurdes : les Marwanides de Mayafarikin (990-1085) et les ‘Ayubides de la Djazira, gouvernés par Malik al-Ashraf (+1237). Les chroniqueurs syriaques soulignaient leur tolérance envers les chrétiens syriaques. Lors de ce congrès, trois conférences furent données sur les Yézidis, leur religion et leur culture. L’une d’elle attira particulièrement mon attention, celle du professeur yézidi Khalil Jindi, qui vit en Allemagne. Il parla des intellectuels yézidis qui redécouvraient leur histoire. Ils ne voulaient plus laisser à ceux qui n’étaient pas de leur communauté la charge de la rédiger à leur place. Ils écrivaient des livres et des articles, qui livraient aux lecteurs une connaissance du Yézidisme plus objective et plus vraie, loin des fictions et stéréotypes.
Les origines du Yézidisme sont très anciennes au Moyen Orient. Ce mot pourrait venir des mots persans ized, yezdan, « Ange-Dieu » ou azata « être digne de vénération.»
On estime aujourd’hui que les Yézidis sont environ 500 000 individus. La plupart vivent au nord de la Mésopotamie, et près de Mossoul, au Kurdistan irakien. Les Yézidis parlent le kurde, sauf dans les villages de Bashika et Bahazane, au nord de l’Irak où ils emploient l’arabe. Des communautés résident en Turquie, en Syrie, en Géorgie, en Arménie, en Iran, en Europe.
La visite du centre culturel
J’eus le vif désir d’aller visiter les hauts lieux des Yézidis, au Kurdistan irakien. À la fin septembre 2006, je fis un bref séjour à Zakho, la ville dont je suis originaire. Zakho est située à 120 kilomètres au nord de Mossoul, non loin de la frontière turque. Accompagné de mon frère Brika, je me rendis un jour au grand hôtel Sipan, qui appartenait au Cheikh Khairy. Avec son frère aîné Shamo, chef religieux, ils étaient les grands Cheikhs yézidis de la grande tribu des Haweri. C’était un ami de la famille.
Je m’attendais à voir un vieux cheikh avec une longue barbe et un turban sur la tête. J’aperçus un bel homme d’affaires, âgé d’une quarantaine d’années, aux cheveux marron clair, au teint blanc, à l’allure dynamique et distinguée. Cheikh Khairy portait avec élégance un costume occidental.
Nous bavardâmes agréablement, puis nous montâmes dans deux voitures et partîmes visiter le centre culturel des Yézidis à Dohuk. C’est une ville située entre les chaînes de montagne Bekher et Shndokha, à une cinquantaine de kilomètres de Zakho. À notre arrivée au centre, nous fûmes accueillis sur le seuil par le directeur Saïd Sallo et tout le personnel. Ils embrassèrent Cheikh Khairy, nous serrèrent la main, et nous firent entrer dans une galerie-musée, décorée de photos, évoquant les grands événements politiques et religieux de leur histoire.
Puis nous allâmes voir la bibliothèque, riche de nombreux ouvrages et revues. Le directeur me présenta avec fierté un magazine culturel, trimestriel, illustré, intitulé Lalish, rédigé en kurde, en arabe et en anglais. C’était le numéro 24, du mois de mai 2006. Je le feuilletais attentivement, et trouvai que c’était un magazine de qualité et de bon niveau.
Un autre journal bi-mensuel, La voix de Lalish, donnait des informations sur les activités culturelles et religieuses de la communauté yézidie.
Le directeur nous parla aussi des activités multiples du centre. L’on y organisait régulièrement des expositions artistiques, des conférences sur les rapports de la communauté yézidie avec les peuples d’autres communautés et religions, comme les chrétiens et les musulmans. L’on y éditait le calendrier de l’année religieuse et civile des Yézidis.
Le centre accueillait les diverses délégations qui arrivaient de partout, d’Arménie, des Républiques caucasiennes, d’Europe.
Il servait de lieu d’étude et de recherche pour les étudiants.
Le responsable du service informatique nous entretint avec passion du nouveau site intitulé
www. lalishduhok.org, qui venait d’être inauguré officiellement. Ce site servirait de canal d’information pour les Yézidis et leurs amis dans le monde entier.
Après cette visite complète du centre, nous nous reposâmes dans le bureau du directeur Said Sallo, entouré de toute son équipe, et prîmes un bon thé. Nous discutâmes fort longtemps sur les rapports cordiaux qui existaient entre le peuple assyro-chaldéen-syriaque et les Yézidis, deux groupes minoritaires établis dans le nord de l’Irak depuis l’antiquité.
Modernisation
Les gouvernements successifs de l’Irak, soucieux d’uniformiser leur pays, adoptèrent souvent une attitude agressive à l’égard des Yézidis. Ils déclenchèrent quelques persécutions contre eux, qui résultaient de la méfiance et de la mésentente. Les Yézidis résistèrent, mais se replièrent sur eux-mêmes, essayant désespérément de garder leur foi et leurs traditions. La pauvreté rôdait autour de leurs communautés, résultant de l’ignorance et du manque d’éducation. Cependant, ils comprirent que pour survivre, il fallait se moderniser, rattraper l’âge de la connaissance et du progrès. Dès l’an 1933, des écoles primaires furent ouvertes au Sindjar et au Cheikhan, mais elles furent fermées en 1934-35 par le gouvernement de Bagdad, lors de la révolte des tribus contre le service militaire, puis ouvertes à nouveau en 1936, après la fin de la rébellion. Vers 1960, des familles poussèrent leurs enfants à poursuivre des études supérieures à l’université. Hélas, le climat de la dictature baassiste, qui prit ensuite le pouvoir en 1968, ne permit pas aux jeunes de continuer leurs études supérieures et de faire évoluer autant qu’ils le souhaitaient leurs communautés.
Il fallut attendre 1991 pour que les Yézidis retrouvent une certaine paix et liberté. Après la guerre du Golfe, les trois départements du nord du Kurdistan, Dohuk, Erbil, Soulemayia passèrent en effet sous la protection des Américains. Les Kurdes, considérant les Yézidis comme une ethnie kurde, leur donnèrent une certaine possibilité de pratiquer librement leur religion et de promouvoir leur patrimoine et leur culture. Pour la première fois de leur histoire, ils purent créer à Dohuk leur propre centre culturel, ajoutant à leur identité un élément d’éducation et de modernisation qui leur avait été refusé sous les régimes répressifs précédents.
Après 2003, et la chute du régime de Saddam Hussein, afin de donner une impulsion au peuple yézidi, 10 autres centres culturels, dépendant de celui de Dohuk, furent créés dans les villes et villages du Kurdistan, à Baadri, à Sindjar, à Cheikhan, à Bashika etc…. Ils furent dotés de bibliothèques, de salles de conférences, d’équipements.
Cinquante ans après, le voyage vers le tombeau de Cheikh Adi
Toujours accompagnés de Cheikh Khairy, mon frère et moi nous remontâmes en voiture et prîmes la direction de Lalish, à une centaine de kilomètres de Dohuk. Lalish, entouré de trois montagnes, est le centre du monde, un centre de culte majeur et symbolique pour les Yézidis, qui y viennent en pèlerinage, car il contient le tombeau du fameux Sheikh Adi ibn Mustafa, le grand chef religieux des Yézidis.
Selon les érudits, Sheikh Adi vécut au début du douzième siècle. Il vint à Bagdad, étudia la théologie. Puis il se retira dans la vallée de Lalish. Le jeune mystique s’isola dans ses méditations spirituelles au cœur de la montagne, vécut dans la pauvreté, et attira des disciples. Il mourut en 1162, mais son culte ne cessa de grandir. Son tombeau devint un haut lieu rayonnant de foi, attirant les pèlerins.
Nous traversâmes la ville de Cheikhan, une sous-préfecture habitée par une majorité de Yézidis. Nous aperçûmes une église, une mosquée, un temple blanc et cannelé. Les trois religions, musulmane, chrétienne, yézidie s’y côtoyaient en paix.
Quelques kilomètres plus loin, nous arrivâmes dans une vallée étroite, luxuriante et belle, plantée de figuiers, de grenadiers, de mûriers, que traversait un cours d’eau. Un ancien temple, dédié à Cheikh Adi, surmonté de deux grands cônes blancs, et d’un cône plus petit se détachait lumineusement sur la montagne plantée de chênes et autres arbres et arbustes. Nous franchîmes un portail, garâmes les voitures dans une longue cour extérieure, bordée de bâtiments.
Des membres du clergé, coiffés de turbans blancs, vêtus de tuniques et de pantalons blancs, serrés aux chevilles, pieds nus, pour être en contact avec la terre, vinrent embrasser respectueusement Cheikh Khairy et nous saluer. Un jeune garçon s’approcha de nous, nous pria de nous déchausser et prit nos souliers. Nous pénétrâmes dans une deuxième cour intérieure.
Là, se dressait le temple. Au-dessus de la porte, deux paons sculptés veillaient. Sur le côté droit, un serpent noir, long de deux mètres, se dressait sur sa queue. Des symboles anciens, soleils, lunes, étoiles, fleurs ornaient les pierres.
Des souvenirs me submergèrent. Il y a cinquante ans- j’étais alors élève à Mossoul- j’avais visité le sanctuaire avec mes maîtres et mes camarades.
Le temple avait été restauré. De nouvelles constructions s’élevaient. J’entendis la voix de Cheikh Khairy qui nous priait d’enjamber le seuil, espace sacré, intouchable. Seul Cheikh Adi avait eu le droit d’y poser le pied.
Nous entrâmes dans une vaste galerie de 30 mètres sur 12, décorée de lampes, coupée par une colonnade de 7 hautes arcades. Une délicieuse fraîcheur y régnait. Des pèlerins avaient attaché des tissus rouges, verts, mauves autour des colonnes. Ils y avaient fait des nœuds pour la réalisation de leurs vœux.
Une autre pièce du sanctuaire contenait des dizaines de jarres d’huile, de toutes tailles. Une petite lampe brillait en dégageant une fumée légère ; sa flamme ne devait jamais s’éteindre. Des salles plus petites abritaient les cénotaphes d’anciens cheikhs.
Nous gagnâmes par une antichambre latérale le saint des saints, le tombeau de Cheikh Adi, un haut sarcophage recouvert d’une draperie rose, multicolore, garnie de glands, de franges. Cheikh Khairy nous pria de tourner avec lui cinq fois autour. Nous saisîmes de nos doigts les franges, les nouâmes et fîmes un vœu. Mon vœu était la paix et la prospérité au Kurdistan fédéral. Nous revînmes vers l’entrée, et nous collâmes notre dos à la paroi d’une niche, et nous refîmes un souhait plus personnel.
Puis nous descendîmes par un escalier étroit et sombre, dans une petite salle. Au centre, il y avait un bassin, alimenté par une source qui sortait de la montagne. Les pèlerins qui venaient là s’aspergeaient d’eau sacrée.
Nous ressortîmes à l’air libre et chaud. Dans la cour de réception, couverte à l’ouest, nous saluâmes d’autres Yézidis habillés de blanc ou en costumes kurdes. Ils nous convièrent à un copieux repas, composé de viande de mouton, de riz, de concombres, de tomates, de fromages. Tous les hommes mangeaient, debout devant des tréteaux garnis de victuailles, les pieds nus. Sur le mur, un grand paon multicolore, dessiné quelques années auparavant par un peintre yézidi, faisait la roue, représentant Tawûsê Melek, le plus puissant et le plus noble des anges. Je pensai que dans de nombreuses traditions, le paon était un symbole solaire, un symbole de beauté, de paix, de prospérité, d’immortalité ; sa queue déployée symbolisait le déploiement cosmique de l’Esprit.1
L’Ange-Paon, la perle et l’illumination
Au moment du thé qui terminait le repas, j’interrogeai sur divers points un cheikh au visage olivâtre.
-Pouvez-vous me dire combien de plis il y a sur les cônes du temple ?
–Vingt-quatre, me répondit-il lentement, correspondant aux vingt-quatre heures de la journée. Quant au cône, il symbolise la terre touchant le ciel.
Un autre cheikh, grand et mince, me parla de sa religion et de la doctrine fondamentale des Yézidis. Il essaya de répondre avec ferveur à toutes mes questions. Je donne ici une synthèse de sa pensée.
La religion yézidie est une religion monothéiste, syncrétique, de tradition savante et populaire, où se mêlent apparemment des éléments soufis, et des éléments venus de la Haute Mésopotamie et de l’Iran, très anciens. Elle est riche en symboles et en poésie, et ses fidèles y sont très attachés. Les Yézidis croient en un Dieu unique et bon. Ils ont deux livres sacrés, Misehfa Resh (Livre noir) et Kitba Cilwe (Livre de l’Illumination). Plusieurs récits cosmogoniques entrecroisent leurs fils dans l’étoffe de la doctrine yézidie.
Le récit de la Création, selon le Mishefa Resh, diffère de celui des chrétiens et des musulmans. En premier, un Dieu tout puissant créa sept anges. Il façonna le monde comme une grosse perle blanche, pure et précieuse, symbole de l’illumination. Le monde resta ainsi pendant 40 0000 ans, chiffre magique. Puis Dieu brisa la perle dont les éclats formèrent la terre, le ciel, la mer. Il créa les animaux, les plantes. Puis Il pétrit avec de l’argile le corps d’Adam, souffla sur lui, et lui donna une âme.
Un autre récit raconte que Dieu créa Tawûsê Melek de sa propre illumination, et ensuite sept anges. Il ordonna à Tawûsê Melek et aux anges d’apporter de la terre, de l’eau, du feu, de pétrir le corps d’Adam. Il lui donna la vie, lui insuffla une âme. Il demanda aux anges de se prosterner devant Adam. Tous obéirent sauf Tawûsê Melek. Dieu l’interrogea sur son refus. Il lui répondit qu’il n’adorait que Dieu seul. Il ne rendait hommage qu’à L’Unique. Ainsi, lui, Tawûsê Melek ne pouvait se prosterner devant Adam qui n’était pas son semblable. Il n’était pas né de la poussière, comme l’homme, mais d’une illumination divine. Alors Dieu qui l’avait éprouvé, le loua et en fit le chef des anges et son représentant sur la face de la terre.
Deux principes dominent la religion yézidie, la pureté spirituelle, la croyance en la métempsycose. Les saints se réincarnent périodiquement sous forme humaine. Les autres peuvent se réincarner sous formes d’animaux.
Dans le passé, des musulmans, se basant sur le Coran, le Livre saint de l’Islam, reprochèrent aux Yézidis de n’être pas des Gens du Livre, comme les juifs et les chrétiens, qui avaient le statut officiel de dhimmis. Parfois, ils ne purent établir avec eux de bonnes relations et se montrèrent intolérants.
La communauté yézidie n’a rien à voir avec une secte satanique, ni avec ses rituels, comme on l’a parfois raconté. Le serpent représenté à la porte du temple n’est pas un symbole du mal, mais de régénération. Tawûsê Malek n’est pas un ange déchu, une source de mal. C’est un démiurge issu d’une illumination de Dieu, et selon des récits, le créateur du monde matériel. Les Yézidis pensent que le bien et le mal existent dans l’esprit et le cœur des hommes. Il dépend d’eux de faire le bon choix. Leur dévotion envers Tawûsê Malek, le puissant Ange-Paon, le Sage, peut les guider. Dieu lui ayant donné le choix entre le bien et le mal, il choisit le bien.
Les anges, qui vivent au-delà des étoiles, possèdent une nature sublime. Ils connaissent dans une lumière qui est au-dessus du temps, éternelle. Ils sont les auxiliaires de Dieu. Ils exercent un rôle d’illumination et de protection auprès des hommes.
« Tout ange est terrible », écrivait dans ses célèbres élégies le poète autrichien Rainer Maria Rilke ( 1875-1926). Tawûsê Melek envoie bénédictions et infortunes comme il veut, il est inconvenant de le questionner. Il a une grande influence sur le monde et le fait aller.
Une société bien structurée
La société yézidie est bien organisée religieusement, hiérarchisée. Au sommet, se tient l’émir ou prince, chef séculier, héréditaire, de la communauté, descendant de Cheikh Adi et hériter d’Abraham. Puis viennent le Papa Cheikh, deuxième personnage, qui dirige la hiérarchie religieuse, les cheikhs, chefs religieux des clans yézidis. Il y a ensuite les pirs, délégués religieux, les qawals, musiciens, prédicateurs, les faqirs, sortes d’ascètes qui entretiennent le tombeau de Cheikh Adi et les édifices sacrés, et les mûrids, les disciples. Chaque tribu observe cette hiérarchie, et toutes obéissent au grand émir du Cheikhan.
Les fêtes
La fête du Nouvel an, fête de la Création du monde, commence le premier mercredi du mois d’avril, selon le calendrier Julien, avec musique, danses, œufs peints, repas. Les Yézidis boivent de l’alcool, qui n’est pas prohibé. Ils croient que Tawûsê Melek descend sur terre ce jour-là, jour où Dieu le créa.
Dans l’empire assyrien, le roi et le peuple célébraient joyeusement à cette époque la fête de l’Akitu, du Nouvel an.
Une deuxième fête agrémente le calendrier yézidi. La fête de l’Assemblée, Cejna Cemaiya est célébrée pour commémorer la mort de Cheikh Adi en 1162, et pour affirmer l’identité yézidie. Elle dure sept jours. Les fidèles viennent de partout, ils allument des centaines de lampes sur les tombeaux de Cheikh Adi et des autres saints. Ils célèbrent l’arrivée prochaine de l’automne, du 23 du mois d’Elul au Ier de Tishrei (septembre).
Parmi les autres fêtes, il y a celle de Tawûsgeran, la circulation du paon. Les qawals et autres dignitaires religieux, visitent les villages yézidis, en balançant au son des tambourins de brillants encensoirs. Ils apportent le Sindjak, sorte d’images sacrées représentant l’Ange-Paon, associé à Tawûsê Melek. Les qawals vénèrent le Sinjak, prêchent des sermons, distribuent de l’eau sacrée, récoltent les offrandes qui serviront à l’entretien du tombeau de Cheikh Adi et des prêtres.
À Vienne, en Autriche, est conservé un magnifique symbole de bronze ou de cuivre jaune représentant l’Ange-Paon.
Prières et jeûnes
Debout, la face tournée vers le soleil qu’ils vénèrent, les Yézidis récitent deux prières par jour, le matin au lever du soleil et le soir, à son coucher. Ces hymnes et ces chants viennent principalement de leur livre sacré Misehfa Resh (Livre noir.) Le mercredi est leur jour saint, travaillé, mais le jour de repos reste le samedi.
Les Yézidis observent deux périodes de jeûne de 40 jours, en hiver et en été. Ils jeûnent un mercredi de février, et le lendemain, commence la fête de Khdir Allias.
Traditions et coutumes
Les Yézidis proclament qu’ils descendent tous d’Adam. Ils se marient entre eux, ils restent le plus souvent monogames. Ils aiment la nature, honorent les arbres et les rivières, respectent l’environnement. Il leur est interdit de cracher sur les quatre éléments sacrés, l’eau, le feu, la terre, l’air. Leur religion leur prohibe certains mets, comme la laitue, le chou-fleur, parfois le poulet, et leur déconseille de porter du bleu.
Aujourd’hui, les jeunes portent des vêtements à l’occidentale, mais les anciens ont gardé leur habit traditionnel, large pantalon kurde, longue chemise au col échancré, tunique, et ceinture. Ils sont coiffés d’un haut bonnet de feutre marron entouré d’un turban. Les femmes vont de blanc vêtues, coiffées de turbans ou de fichus.
Les enfants sont amenés à Lalish, entre 6 mois et un an, aspergés d’eau de la source blanche sur le front, par le Cheikh ou le Pir, et baptisés. La circoncision est répandue, mais elle n’est pas exigée.
Les morts sont enterrés à proximité de leur village, dans des tombes coniques, immédiatement après leur décès.
Une histoire tragique
Au cours de l’histoire, les villages yézidis subirent les pires atrocités. Au milieu du XIIIeme siècle, des princes locaux, comme Badr al-Din Lulu, émir de Mossoul, dévastèrent le Cheikhan, massacrèrent un grand nombre d’adeptes de Cheikh Adi, mirent le feu au tombeau du saint et brûlèrent les ossements. Le tombeau fut reconstruit.
Les Ottomans, au milieu du XVIIeme siècle, envoyèrent à Cheikhan le Pacha de Van, Shamus Pacha avec des troupes, pour détruire le temple de Cheikh Adi et tuer le plus grand nombre de Yézidis.
En 1708, il y eut une rébellion des Yézidis contre l’Empire ottoman dans le Djebel Sindjar massif montagneux situé à l’ouest de Mossoul. L’émir de Bagdad, nommé Hassan Pacha, reçut l’ordre d’aller écraser les révoltés. La répression fut terrible.
Les Pachas de Bagdad et de Mossoul laissèrent souvent leurs troupes supplétives malmener les malheureux Yézidis.
À la fin du XIXeme siècle, Omar Wabi Pacha, inspecteur général de l’Irak, expédia une armée redoutable pour décimer les Yézidis et abolir leur religion.
En 1892, Qoriakos Paulus Daniel, l’évêque syriaque originaire de Bagdad, signala dans sa chronique que le gouverneur de Mossoul, Omar Fami Pacha, avait mené une terrible campagne contre les Yézidis.
Ce pacha fit venir 70 personnalités, les poussa à l’apostasie. Une partie du groupe accepta, l’autre refusa et fut persécutée. Quatre personnes moururent piétinées sur le champ. Le 20 août, Omar Fami Pacha fit chercher à Baadre, Bashika, Bahzane, les Sindjaks, symboles religieux des Yézidis, il les profana et les détruisit. Un an après, en 1893, il envoya 7 corps d’armée pour détruire les Yézidis du Sindjar.
À partir de 1915, en pleine guerre mondiale, les Yézidis protégèrent les chrétiens arméniens poursuivis par les Turcs et les Assyro-Chaldéens-Syriaques, qui se réfugièrent dans le Djebel Sindjar. Ils en accueillirent environ trente mille, jusqu’en 1918.
En février 1918, ils refusèrent de livrer les persécutés, les défendirent contre les Turcs qui avaient envoyé des contingents dans le Sindjar. Ils menèrent de durs combats, mais, inférieurs en effectifs, mal armés, ils furent battus près de Balad. Ils se réfugièrent dans les montagnes avec les chrétiens.
Délivrés par les Anglais du joug ottoman, ils acceptèrent de reconnaître comme leur chef Hemo Soro, choisi par leurs libérateurs.
En 1933, les Yézidis du Sindjar n’optèrent pas pour la Syrie, mais pour l’Irak indépendant. En 1934, se posa le problème du service militaire, dont ils étaient dispensés par un firman depuis 1849. Ils demandèrent à Bagdad, non l’exemption du service militaire, mais la constitution d’une unité spéciale yézidie. Le gouvernement irakien, désireux d’unifier le pays, d’assimiler peuples et communautés en un seul peuple, une seule religion, l’islam sunnite, refusa net. Il y eut une révolte contre le régime de Bagdad à Sindjar et dans le territoire habité par les Yézidis. Cette révolte, menée sous la direction de Daoude Daoud, Cheikh yézidi du Mihirkam, fut partiellement suivie par les autres tribus. Bagdad envoya pour des représailles le général Bakr Sidqi, avec une colonne. La répression fut sanglante dans tout le Sindjar, des villages incendiés, 2000 prisonniers déportés vers le sud. Deux notables chrétiens, qui avaient soutenu Daoude Daoud, furent pendus à Mossoul. Après plusieurs mois de combat, dans la nuit du 12 au 13 octobre, le chef Daoude Daoud fut défait, blessé, il s’enfuit en Syrie où il fut interné. En 1936, le gouvernement irakien décréta une amnistie ; les révoltés yézidis purent revenir chez eux. Daoude Daoud rentra en Irak, il fut conduit au village de Sanate, mon village natal, au nord du pays, et vécut en exil. Les Sanatiens l’accueillirent gentiment, pendant trois ans. Mon père, qui était alors gamin, me raconta que les garçons du village traçaient autour de lui des cercles enchantés, comme Enkidu autour de Gilgamesh, dans la célèbre et vieille épopée mésopotamienne.
Sous le régime de Saddam Hussein, les Yézidis souffrirent d’une politique d’arabisation. Souvent unis aux Peshmergas, combattants kurdes, ils luttèrent contre les troupes baassistes. Plusieurs villages yézidis furent encore détruits.
Depuis 1991, et en 2003, la chute de Saddam Hussein, le Gouvernement autonome du Kurdistan, reconnaît cette communauté digne et courageuse : elle refusa toujours de se laisser assimiler par le pouvoir et la société qui l’environnait. Il valorise la participation des Yésidis à la résistance kurde, contre l’oppression du régime de Bagdad. Il voit en eux une ethnie kurde, ayant cependant sa propre religion, ses coutumes.
Le droit des Yézidis de pratiquer leur culte est reconnu par la nouvelle Constitution irakienne et par la Constitution du Kurdistan fédéral. Ils sont représentés au parlement, ont deux ministres.
Malheureusement aujourd’hui, des groupes islamistes menacent les villages yézidis, les font vivre dans la crainte de nouveau.
La fin du voyage
L’heure était venue pour Cheikh Khairy, pour mon frère et moi de quitter cet endroit beau, unique, inoubliable, où reposait le grand Cheikh Adi. L’on y respirait une atmosphère limpide qui touchait le cœur, elle venait de la foi des Yésidis, des flèches blanches, cannelées du sanctuaire, de l’eau sacrée, de la luxuriante et paisible vallée, de la beauté primitive des montagnes, des arbres et des fleurs.
En chemin, nous nous arrêtâmes, descendîmes de voiture, pour nous dire adieu. Cheikh Khairy nous offrit deux kilos de figues sèches du Sindjar, puis il nous embrassa, avant de remonter en voiture et de se diriger vers Dohuk. Quant à nous, nous regagnâmes Erbil.
Le lendemain, je pris l’avion pour Cologne, en Allemagne. Par le plus pur hasard, le professeur Khalil Jindi se trouvait dans le même avion, accompagné du sous-préfet de Cheikhan. À l’aéroport de Cologne, une délégation de Yézidis vint les accueillir avec beaucoup de joie.
Ce fut réellement l’un des plus intéressants voyages de ma vie.