samedi 11 août 2012

« Les chroniqueurs syriaques »


Cela fait dix ans que le livre « Les chroniqueurs syriaques » est paru aux éditions L’Harmattan; ouvrage inédit et riche de renseignements sur l’histoire de l’Orient, qui a été acquis par diverses bibliothèques et centres de recherche. Rapidement, il a été traduit en langue turque. Les écrits de ces chroniqueurs sont passionnants et jettent une lumière originale sur les événements de l’histoire.



Les Chroniqueurs Syriaques *

Durant plus de mille ans, entre le IIIe et le XIVe siècle, les chroniqueurs syriaques se plurent à observer le flux et le reflux de l’Histoire autour du roc du Proche-Orient.
Qui étaient ces Syriaques ? Les héritiers des antiques Assyriens, des Babyloniens, et aussi des Araméens habitant la Syrie et la Mésopotamie. Ces héritiers parlaient le syriaque, dialecte de l’araméen. Ils en firent une langue culturelle et scientifique.
Ils se divisaient en deux branches. Les Syriaques orientaux, dits « nestoriens », s’étaient établis surtout en Mésopotamie et en Iran. Les Syriaques occidentaux comprenaient les « Jacobites », qui  résidaient en Syrie, en  Mésopotamie, et les Maronites du Liban.
Ces communautés formaient un peuple, avec son histoire, sa langue, sa culture, sa religion chrétienne.rs syriaques
Les Syriaques vécurent au sein des grands Empires dans des conditions politiques, économiques et sociales souvent difficiles. Sur leurs terres battues par les vents, ils subirent, vague par vague, les assauts des Romains, des Perses Sassanides, des Arabes, des Turcs Seldjoukides, des Mongols. Ils réussirent à garder leur patrimoine culturel,  sans rien perdre de leurs fortes individualités.
   
        Les Syriaques prirent peu à peu conscience de leur dimension historique. Ils s’adonnèrent à l’histoire, ecclésiastique et profane, qui occupa une place importante dans leur littérature. Ils restèrent dans la tradition d’Eusèbe de Césarée, philologue et historien (né vers 265), auteur d’une Histoire ecclésiastique.
Ces historiens syriaques appartenaient parfois à l’élite intellectuelle, composée de hauts dignitaires ecclésiastiques, tels Élie de Nisibe, Michel le Grand, Bar Hébraeus. Ils étaient le plus souvent des moines austères, nourris d’Écritures saintes, comme Josué le Stylite, le Pseudo-Denys.

       Les Syriaques voyagèrent dans le passé le plus lointain. Leur histoire de l’humanité, comme ils la concevaient, remontait à Adam. Elle accompagnait les Patriarches, les Juges, puis les rois hébreux,  assyriens, chaldéens, mèdes, perses, grecs, romains, arabes, mongols. D’où la nécessité de consulter les archives, de compiler les vieux textes. Il fallait conserver les dates de la fondation des cités, celles des grands règnes, des patriarcats, des conciles.
       Pour transformer ces sources en documents, les Syriaques cherchèrent une méthode historique, une technique du récit, ils  reprirent, continuèrent les travaux de leurs illustres prédécesseurs. Ils réalisèrent ainsi leurs annales, leurs chroniques, leurs chronographes. Ces auteurs excellèrent à conter les événements de leur temps. Ils magnifièrent leurs héros et leurs grands personnages. La matière historique devenait universelle.
      
       Les historiographes écrivirent une histoire plus pragmatique, politique, militaire, mais aussi religieuse, culturelle, économique. Ils portèrent leur attention sur les faits récents, appris des témoins ou sur les événements contemporains, auxquels ils avaient assisté. Ils relatèrent les exploits des hommes éminents, catholicoi, évêques, secrétaires, médecins. Ils nous renseignèrent sur les façons de vivre et de penser de leur époque, de leur milieu. Les Syriaques formaient un peuple mais n’avaient pas réussi à créer un État-nation. Ils étaient les membres d’une communauté minoritaire,  restaient soumis à l’autorité des souverains.
      Les Syriaques associèrent au récit leur histoire, placée dans le temps ou les temps. Pour transmettre les événements dans leur succession, ils durent établir une chronologie. Ils combinèrent plusieurs computs, émirent parfois des réserves sur leur exactitude. Héritiers de la Mésopotamie, ils utilisèrent jusqu’au milieu du XIXe siècle l’ère séleucide, qui commençait le Ier octobre 312 avant J.-C., appelée aussi « ère des Grecs » ou « ère d’Alexandre ». C’était un choix culturel puisque les anciens Babyloniens avaient inscrit cette ère dans leur calendrier. 
     
        Les auteurs observèrent la succession des dynasties, des peuples et des empires, ils ne se refusèrent pas entièrement à des interprétations cycliques.

       L’histoire qui intéressait ces chroniqueurs tournait son visage vers la Théologie. L’Incarnation du Christ était le point de départ de l’histoire de l’Église.
      La croyance traditionnelle qu’une puissance supérieure, Dieu, commandait aux événements, prévalait chez la plupart des historiens.
       Jean, le savant évêque de Mardin (+1165), accéda à une autre vue de l’histoire. Il soutenait que les catastrophes, comme la prise d’Ėdesse par l’émir Zangui en 1144, pouvaient se produire sans intervention divine. La providence ne gérait plus l’histoire en maîtresse absolue. Bar Hébraeus, au siècle suivant, alla dans ce sens. Il écrivit que la nature répondait à d’immuables lois. C’était elle qui dirigeait les affaires du monde.
                 
              Les auteurs syriaques furent les contemporains de grands moments de civilisations. Ils nous laissèrent, dans leurs chroniques, des documents de premier ordre. Ceux-ci nous éclairaient, tels des projecteurs, sur l’histoire de l’Asie Antérieure sous les Romains, les Perses sassanides, les Arabes, les Turcs, les Mongols.
       Nous avions oublié l’éclat et la magnificence de ces mondes anciens.
     
      Les Syriaques d’Orient  se contentèrent d’exposer les épisodes, les événements, les faits qui marquèrent le cours des siècles, sans rechercher parfois les liens entre eux.         
      Ces historiens se donnèrent-ils la peine de distinguer, dans le récit, la vérité de l’erreur, but de la critique historique ? Ils s’appliquèrent à l’examen et à la vérification des faits. Ils manquèrent  parfois d’attention quant à l’investigation de leurs causes, de connaissance profonde sur la manière dont les événements s’étaient déroulés. Ils les acceptaient sans sourciller, comme tous les hommes de leur époque, voyant ce qu’il fallait voir dans la bonne société où ils vivaient. Ils annonçaient les passages des comètes comme des signes néfastes, les calamités et les défaites comme des punitions divines, ils s’attardaient sur les récits merveilleux.
       Les Syriaques poursuivaient un but en écrivant. Avec une certaine pédagogie, ils voulaient instruire leur peuple, l’édifier, l’éclairer. Ils oeuvrèrent à stimuler son intérêt pour sa propre histoire, sa langue, sa littérature.
       Ils purent manquer de vues profondes sur la compréhension du monde, des pays, des peuples. Ils n’élaborèrent pas de philosophie de l’histoire, science qui devait voir le jour au XIVe siècle, grâce à Ibn Khaldûn, homme de cour, diplomate, magistrat maghrébin.    
                          
       Sous l’étendard flamboyant de l’Histoire, les chroniqueurs syriaques jetèrent sur l’univers un autre regard que les Grecs, les Latins, les Arabes, les Arméniens. Ils eurent une vision originale, sinon profonde, du monde qui les entourait. Avec leur génie particulier, ils oeuvrèrent, comme les médecins, les philosophes, les traducteurs et les artistes à la création d’une brillante civilisation syriaque. Ils poursuivirent le récit de l’aventure humaine. Comme ils approfondissaient le passé, ils exploraient les lointains de leurs âmes.

Hélas, de nombreux ouvrages, qui narraient le passé en langue syriaque ou en arabe, s’égarèrent. Il nous reste des fragments d’œuvres perdues et quelques belles chroniques. Citons :
-La Chronique d’Édesse.
-La Chronique de Josué le Stylite.
-L’Histoire ecclésiastique de Jean d’Asie.
-La Chronique du Pseudo-Denys de Tell-Mahré.
-La Chronique de Michel le Grand.
-La Chronique de l’Édessénien Anonyme.
-La Chronographie de Bar Hébraeus.
-La Chronique de Séert.
-La Chronographie d’Élie de Nisibe.
-Le Livre de la Tour, de Mari Ibn Sulayman.
-Les Livres des Mystères de Sliwa bar Yuhanna.

 Ces ouvrages ne reçurent pas l’attention qu’ils méritaient. Les chroniques latines, byzantines, arméniennes, arabes furent soigneusement étudiées, mais les chroniques syriaques restèrent dans l’ombre des bibliothèques.
Il est temps que les historiens les découvrent, les étudient, les utilisent comme des documents précieux, pour relater les événements du passé avec plus d’objectivité.
      
 En Turque

* Pour plus d’informations sur ce sujet, lire l’ouvrage d’Ephrem-Isa YOUSIF : Les chroniqueurs syriaques, éditions l’Harmattan, 469 pages Paris, 2002.

Ephrem-Isa YOUSIF
France
Tous droits réservés.
10 Aout 2012