Cela
fait dix ans que le livre « Les chroniqueurs syriaques » est
paru aux éditions L’Harmattan; ouvrage inédit et riche de renseignements
sur l’histoire de l’Orient, qui a été acquis par diverses bibliothèques et
centres de recherche. Rapidement, il a été traduit en langue turque. Les écrits
de ces chroniqueurs sont passionnants et jettent une lumière originale sur les
événements de l’histoire.
Les Chroniqueurs Syriaques *
Durant plus
de mille ans, entre le IIIe et le XIVe siècle, les
chroniqueurs syriaques se plurent à observer le flux et le reflux de l’Histoire
autour du roc du Proche-Orient.
Qui étaient
ces Syriaques ? Les héritiers des antiques Assyriens, des Babyloniens, et
aussi des Araméens habitant la Syrie et la Mésopotamie. Ces héritiers parlaient
le syriaque, dialecte de l’araméen. Ils en firent une langue culturelle et
scientifique.
Ils se
divisaient en deux branches. Les Syriaques orientaux, dits
« nestoriens », s’étaient établis surtout en Mésopotamie et en Iran.
Les Syriaques occidentaux comprenaient les « Jacobites », qui résidaient en Syrie, en Mésopotamie, et les Maronites du Liban.
Ces
communautés formaient un peuple, avec son histoire, sa langue, sa culture, sa
religion chrétienne.rs syriaques
Les Syriaques vécurent au sein des grands Empires dans des conditions
politiques, économiques et sociales souvent difficiles. Sur leurs terres
battues par les vents, ils subirent, vague par vague, les assauts des Romains,
des Perses Sassanides, des Arabes, des Turcs Seldjoukides, des Mongols. Ils
réussirent à garder leur patrimoine culturel,
sans rien perdre de leurs fortes individualités.
Les Syriaques prirent peu à peu
conscience de leur dimension historique. Ils s’adonnèrent à l’histoire,
ecclésiastique et profane, qui occupa une place importante dans leur
littérature. Ils restèrent dans la tradition d’Eusèbe de Césarée, philologue et
historien (né vers 265), auteur d’une Histoire ecclésiastique.
Ces
historiens syriaques appartenaient parfois à l’élite intellectuelle, composée
de hauts dignitaires ecclésiastiques, tels Élie de Nisibe, Michel le Grand, Bar
Hébraeus. Ils étaient le plus souvent des moines austères, nourris d’Écritures
saintes, comme Josué le Stylite, le Pseudo-Denys.
Les Syriaques voyagèrent dans le passé
le plus lointain. Leur histoire de l’humanité, comme ils la concevaient,
remontait à Adam. Elle accompagnait les Patriarches, les Juges, puis les rois
hébreux, assyriens, chaldéens, mèdes,
perses, grecs, romains, arabes, mongols. D’où la nécessité de consulter les
archives, de compiler les vieux textes. Il fallait conserver les dates de la
fondation des cités, celles des grands règnes, des patriarcats, des conciles.
Pour transformer ces sources en
documents, les Syriaques cherchèrent une méthode historique, une technique du
récit, ils reprirent, continuèrent les
travaux de leurs illustres prédécesseurs.
Ils réalisèrent ainsi leurs annales, leurs chroniques, leurs chronographes. Ces
auteurs excellèrent à conter les événements de leur temps. Ils magnifièrent
leurs héros et leurs grands personnages. La matière historique devenait
universelle.
Les historiographes écrivirent une
histoire plus pragmatique, politique, militaire, mais aussi religieuse,
culturelle, économique. Ils portèrent leur attention sur les faits récents,
appris des témoins ou sur les événements contemporains, auxquels ils avaient
assisté. Ils relatèrent les exploits des hommes éminents, catholicoi, évêques,
secrétaires, médecins. Ils nous renseignèrent sur les façons de vivre et de
penser de leur époque, de leur milieu. Les Syriaques formaient un peuple mais
n’avaient pas réussi à créer un État-nation. Ils étaient les membres d’une
communauté minoritaire, restaient soumis
à l’autorité des souverains.
Les Syriaques associèrent au récit leur
histoire, placée dans le temps ou les temps. Pour transmettre les événements
dans leur succession, ils durent établir une chronologie. Ils combinèrent
plusieurs computs, émirent parfois des réserves sur leur exactitude. Héritiers
de la Mésopotamie, ils utilisèrent jusqu’au milieu du XIXe siècle
l’ère séleucide, qui commençait le Ier octobre 312 avant J.-C.,
appelée aussi « ère des Grecs » ou « ère d’Alexandre ».
C’était un choix culturel puisque les anciens Babyloniens avaient inscrit cette
ère dans leur calendrier.
Les auteurs observèrent la succession
des dynasties, des peuples et des empires, ils ne se refusèrent pas entièrement
à des interprétations cycliques.
L’histoire qui intéressait ces chroniqueurs
tournait son visage vers la Théologie. L’Incarnation du Christ était le point
de départ de l’histoire de l’Église.
La croyance traditionnelle qu’une
puissance supérieure, Dieu, commandait aux événements, prévalait chez la
plupart des historiens.
Jean, le savant évêque de Mardin
(+1165), accéda à une autre vue de l’histoire. Il soutenait que les
catastrophes, comme la prise d’Ėdesse par l’émir Zangui en 1144, pouvaient se
produire sans intervention divine. La providence ne gérait plus l’histoire en
maîtresse absolue. Bar Hébraeus, au siècle suivant, alla dans ce sens. Il
écrivit que la nature répondait à d’immuables lois. C’était elle qui dirigeait
les affaires du monde.
Les
auteurs syriaques furent les contemporains de grands moments de civilisations.
Ils nous laissèrent, dans leurs chroniques, des documents de premier
ordre. Ceux-ci nous éclairaient, tels des projecteurs, sur l’histoire de l’Asie
Antérieure sous les Romains, les Perses sassanides, les Arabes, les Turcs, les
Mongols.
Nous avions oublié l’éclat et la
magnificence de ces mondes anciens.
Les Syriaques d’Orient se
contentèrent d’exposer les épisodes, les événements, les faits qui marquèrent
le cours des siècles, sans rechercher parfois les liens entre eux.
Ces historiens se donnèrent-ils la peine
de distinguer, dans le récit, la vérité de l’erreur, but de la critique
historique ? Ils s’appliquèrent à l’examen et à la vérification des faits. Ils
manquèrent parfois d’attention quant à
l’investigation de leurs causes, de connaissance profonde sur la manière dont
les événements s’étaient déroulés. Ils les acceptaient sans sourciller, comme
tous les hommes de leur époque, voyant ce qu’il fallait voir dans la bonne société
où ils vivaient. Ils annonçaient les passages des comètes comme des signes
néfastes, les calamités et les défaites comme des punitions divines, ils
s’attardaient sur les récits merveilleux.
Les Syriaques poursuivaient un but en
écrivant. Avec une certaine pédagogie, ils voulaient instruire leur peuple,
l’édifier, l’éclairer. Ils oeuvrèrent à stimuler son intérêt pour sa propre
histoire, sa langue, sa littérature.
Ils purent manquer de vues profondes sur
la compréhension du monde, des pays, des peuples. Ils n’élaborèrent pas de
philosophie de l’histoire, science qui devait voir le jour au XIVe siècle,
grâce à Ibn Khaldûn, homme de cour, diplomate, magistrat maghrébin.
Sous l’étendard flamboyant de
l’Histoire, les chroniqueurs syriaques jetèrent sur l’univers un autre regard
que les Grecs, les Latins, les Arabes, les Arméniens. Ils eurent une vision
originale, sinon profonde, du monde qui les entourait. Avec leur génie
particulier, ils oeuvrèrent, comme les médecins, les philosophes, les
traducteurs et les artistes à la création d’une brillante civilisation
syriaque. Ils poursuivirent le récit de l’aventure humaine. Comme ils
approfondissaient le passé, ils exploraient les lointains de leurs âmes.
Hélas, de
nombreux ouvrages, qui narraient le passé en langue syriaque ou en arabe,
s’égarèrent. Il nous reste des fragments d’œuvres perdues et quelques belles
chroniques. Citons :
-La Chronique
d’Édesse.
-La Chronique
de Josué le Stylite.
-L’Histoire
ecclésiastique de Jean d’Asie.
-La Chronique
du Pseudo-Denys de Tell-Mahré.
-La Chronique
de Michel le Grand.
-La Chronique
de l’Édessénien Anonyme.
-La
Chronographie de Bar Hébraeus.
-La Chronique
de Séert.
-La
Chronographie d’Élie de Nisibe.
-Le Livre de
la Tour, de Mari Ibn Sulayman.
-Les Livres
des Mystères de Sliwa bar Yuhanna.
Ces ouvrages ne reçurent pas l’attention qu’ils
méritaient. Les chroniques latines, byzantines, arméniennes, arabes furent
soigneusement étudiées, mais les chroniques syriaques restèrent dans l’ombre
des bibliothèques.
Il est temps
que les historiens les découvrent, les étudient, les utilisent comme des
documents précieux, pour relater les événements du passé avec plus
d’objectivité.
* Pour plus d’informations sur
ce sujet, lire l’ouvrage d’Ephrem-Isa YOUSIF : Les chroniqueurs
syriaques, éditions l’Harmattan, 469 pages Paris, 2002.
Ephrem-Isa YOUSIF
France
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10 Aout 2012