mercredi 13 avril 2005

Les Syriaques et leur roi


En rouge le Patriarcat de Bagdad, en vert les Métropoles.
(d'après Le Coz, Histoire de l'Eglise d'Orient)

Les Syriaques se plaignent parfois de n’avoir pas eu de rois à l’ère chrétienne. Ils en eurent un sous le règne des Mongols.


Le roi Mas’ud

Le roi Mas’ud vécut à l’époque des Mongols, tribus d’Asie Centrale, qui s’unirent sous la direction d’un chef exceptionnel Temûjin (Gengis Khan) en 1206 et se lancèrent dans une politique de conquêtes. A l’est, ils s’emparèrent de la Chine des Song et du Tibet. A l’ouest, ils prirent et saccagèrent Bagdad en 1258, mettant fin à la dynastie des califes arabes Abbassides. Ils fondèrent un immense empire qui s’étendait de la mer de Chine à l’Euphrate et à la Volga.

Les chrétiens de Syrie, de Palestine, de Mésopotamie et d’Asie Mineure avaient attendu l’arrivée des Mongols, espérant une amélioration de leur condition.

Ils vécurent un grand changement : Ils n’étaient plus des “Dhimmi,” sujets de l’Islam, citoyens de second rang. Comme les fidèles des autres religions, ils se retrouvaient égaux en droit devant l’autorité du Roi des Rois, dans un Khanat où régnait la tolérance et où les communications se développaient, avec la Chine, avec l’Europe.

Les chrétiens de langue syriaque, nestoriens et jacobites, vécurent sous les premiers Il-khans de Perse une période paisible et florissante, élevant à nouveau leurs églises, leurs couvents, étendant leurs missions, accroissant leur production littéraire.


La chronographie

Pour raconter l’histoire du roi Mas’ud, nous nous inspirerons de “ The Chronography of Gregory Abu’l-Faradg. » , un médecin, un maphrien (primat pour les pays de l’Orient), un grand écrivain syriaque occidental, qui vécut à la cour des Mongols. Il fut connu des Européens sous le nom de Bar Hébraeus (1226-1286).

La chronographie, écrite en syriaque, va de la création du monde à l’invasion des Mongols. Elle se divise en deux parties, Chronicon syriacum, consacrée à l’histoire politique et civile des pays de l’Orient, et Chronicum ecclesiasticum qui traite de l’histoire des Patriarches de l’Église.


Les origines de Mas’ud

En 1276, sous le règne de l’Il-Khan de Perse ’Abaqa ( 1265-1282), arrière petit-fils de Gengis Khan, sortit du rang le célèbre gouverneur chrétien pour les Mongols, Mas’ud de Bar Qawta. C’était le fils d’un riche marchand qui décida un jour d’aller avec une caravane, visiter et saluer le Grand Khan Koubilai à Pékin

“En ce temps-là, le grand marchand chrétien A’lam al-Din Ya’qub partit dans l’intention de se mettre au service de Koubilai, le Grand Khan. Il était originaire de Bar Qawta, village du pays d’Erbil ” 1

A’lam al-Din Ya’qub était accompagné par tous ses fils et par l’émir ‘Ashmut, un grand homme respecté auprès de la tribu des Ouïgurs, qui menait une vie ascétique.

Au cours de son voyage, la mort frappa le marchand sur le territoire du Khorasan. L’émir ‘Ashmut décida alors d’écourter le voyage et d’aller rendre hommage à l’Il-Khan Abaqa

‘Ashmut prit les enfants [du commerçant] et les conduisit à Abaqa pour le servir. Celui-ci les accueillit avec bonté. Il nomma Mas’ud, le fils aîné, gouverneur civil de Mossoul et d’Erbil et l’émir ‘Ashmut fut nommé son administrateur.” (Chronography, P. 535 )


Le gouvernement de Mas’ud

Mas’ud gouverna, nous savons qu’il eut affaire aux Kurdes voisins des montagnes, qui depuis 1260, attaquaient parfois les villages chrétiens de la région. Le 7 juin 1277, ils firent un raid contre le couvent syrien occidental de Mar Matta, près de Mossoul, et enlevèrent des moines.

En 1278, les ennuis, les rivalités commencèrent. Le gouverneur fut calomnié par le persan Nasir al-Din Papa, l’ancien gouverneur de Mossoul nommé en 1266, qui l’accusait ainsi que le noble ‘Ashmut de détruire le pays de Mossoul. Les deux gouverneurs furent écartés du pouvoir après une commission d’enquête. Papa gouverna à leur place.

Mas’ud et le noble ‘Ashmut accusèrent Papa et ses juges de corruption. En 1280, ils allèrent chez Abaqa et lui demandèrent de rouvrir l’enquête qui dura un mois. Papa le traître fut exécuté en même temps qu’un persan Djalal al-Din Turan, le 8 août, sa tête exhibée à Mossoul.

“Ces gouverneurs chrétiens régirent de nouveau le pays de Mossoul et d’Erbil, et ils triomphèrent noblement. Ils acquirent une grande renommée ” (Chronography, P. 543)

Les parents des condamnés persans préparaient une attaque. Durant l’été 1281, ils accusèrent Mas’ud d’avoir volé l’argent de la famille de Djalal al-Din Turan. Le gouverneur, arrêté et torturé, promit de verser 500 0000 dariques. Ramené à Mossoul, il réussit à s’enfuir en cours de route. Son cousin Su’aydath fut torturé à mort.


Mas’ud, roi de Mossoul et de la région

Désireux de venger leur père, les fils de Djalal al-Din Turan, assassinèrent l’émir ‘Ashmut en l’an 1284 ( 1595 sél.), lors de l’accession au trône d’Arghun, le nouvel Il khan (1284-1291).

Quant à Mas’ud de Bar Qawta, il fut nommé roi de Mossoul et de ses environs par Arghun :

“En 1595, il nomma Mas’ud, fils de A’lam al-Din Ya’qub, roi pour Mossoul et sa région et tous les chrétiens se réjouirent. ” (Chronography, P. 554)

Le 17 juin 1286, 4 000 brigands et 300 cavaliers mamelouks arrivèrent devant Mossoul, après avoir ravagé la contrée et pillé le couvent de Mar Matta. Le roi Mas’ud s’enfuit devant eux, et se réfugia dans la citadelle. Les habitants de religion musulmane, trop confiants, laissèrent entrer dans la ville leurs coreligionnaires.

Les chrétiens, effrayés, s’étaient réfugiés avec leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux, dans la demeure maison d’un généreux notable, le naqib des Alides, l’une des factions musulmanes. Les maraudeurs, avertis, se dirigèrent vers la maison, ils escaladèrent les murs, violentèrent les femmes et les filles, pillèrent musulmans et chrétiens. Ils pillèrent encore les quartiers commerciaux et celui des Juifs. Ils emmenèrent en partant 500 esclaves.

Mas’ud n’avait pu empêcher ce pillage.


La fin de Mas’ud

L’histoire de Mas’ud finit mal.

Le roi de Mossoul ne fit pas un bon choix en soutenant, en 1289, Boqa, le trésorier d’Arghun. Ce dernier avait sauvé, sous le règne du roi des rois précédent, Tegüder Ahmed, la vie d’Arghun, qui dès son accession l’avait nommé Grand Émir. Mas’ud n’adressait ses salutations qu’à Boqa, n’obéissait qu’à lui. Il croyait que le Grand Émir était supérieur à tout le monde.

Boqa, en effet, se montrait hautain, impitoyable, il se faisait des ennemis des autres émirs. Accusé de complot contre Arghun, il s’enfuit. Repris, il fut exécuté le 14 janvier 1289. sa chute entraîna celle de Mas’ud.

Les Mongols demandèrent au roi chrétien de Mossoul dix myriades d’or. Malade, il céda et versa la somme. Il fut alors amené à Erbil et mis à mort le 4 avril 1289. Ses parents furent pourchassés. Sa royauté avait duré cinq ans.

Un Arménien fut nommé à sa place gouverneur de Mossoul.


Les rois mongols

Hulagu (1256-1265).

‘Abaqa (1265-1282).

Tekûder ‘Ahmâd (1282-1284).

‘Arghun.( 1284-1291).

Bibliographie

Chronicon syriacum : Editions en Syriaque

-Bar-Hebraei, Chronicon syriacum, publiée par P.J. Bruns et G.G. Kirsch, 2 volumes. Leipzig, 1789.

-Gregorii Barhebraei, Chronicon syriacum, éditée par Paulus Bedjan, Maisonneuve, Paris, 1890.

Edition vocalisée et notée en syriaque (sans traduction), Paris, 1890

-E.A.Wallis Budge, “ The Chronography of Gregory Abu’l-Faraj, 1225-1286, 2 vol, II (fac similé du texte), Londres, 1932, reimpr. Amsterdam, 1976.

-Réédition du texte syriaque, Julius Y.Ciçek, Losser, Hollande.



Traductions

-P.J. Bruns et G.G. Kirsch, Chronicon syriacum, traduction en latin, Leipzig, 1789.

- E.A.Wallis Budge, “ The Chronography of Gregory Abu’l-Faraj, 1225-1286, 2 vol., I (traduction anglaise), Londres, 1932, reimpr. Amsterdam, 1976.

-Chronicon syriacum, traduction du syriaque en arabe, faite par Ishaq Armaleh, éditée dans les numéros des années 1949-1956 de la revue el-Machreq de Beyrouth.

La même traduction arabe rassemblée en un volume, éditée par Dar el-Machriq, Beyrouth, 1986.


1 Ernest A. Wallis Budge, The Chronography of Gregory Abû’l-Faraj, 1225-1286, known as Bar Hebraeus, translated from the Syriac into English, London, 1932, Apa-Philo Press, Amsterdam, 1976. P. 535. Traduction fr. E.-I.YOUSIF.