jeudi 8 décembre 2016



    
Colloque international
     Les minorités religieuses, chrétienne et yézidie d’Irak ont payé un très lourd tribut à la suite de l’occupation de leurs territoires par les djihadistes de Daesh.  Alors que la Coalition internationale accélère les préparatifs militaires pour la bataille de Mossoul pour libérer cette province de la férule de Daesh, la question du statut futur es minorités religieuses n’est guère abordée.

   Or il s’agit d’une question cruciale.  La communauté chrétienne de Mossoul a été martyrisée bien avant l’invasion de Daesh par les diverses milices arabes sunnites liées ou non à Al-Qaïda.  Sans un statut clair et garanti pour assurer la sécurité et l’autonomie de ces communautés, la défaite de Daesh peut ne pas se traduire par un avenir apaisé pour ces minorités religieuses en péril.

   Le colloque organisé par l’Institut kurde a pour but de susciter un débat public sur ce sujet avec des représentants de ces minorités ainsi que des experts occidentaux afin de contribuer à l’information des élus et de l’opinion publique sur ces enjeux importants.


   Ce colloque fut organisé au Sénat (Palais du Luxembourg, salle Clemenceau) par l’Institut kurde de Paris, le vendredi 25 novembre 2016.




   J’avais rencontré quelque temps auparavant le directeur de l’Institut kurde, Kendal Nezan, et nous avions discuté ensemble, nous demandant ce que nous pouvions faire pour soulager les chrétiens de Mossoul et de la plaine de Ninive et les yezidis, tous victimes de l’Etat islamique. Il m’avait chargé des relations avec les communautés chrétiennes kurde et demandé d’inviter des évêques irakiens, qui administraient ces diocèses.
   Rapidement, je me mis en contact avec Monseigneur Petrus Moushé, évêque syriaque catholique de Mossoul et de Qaraqosh, et Monseigneur Mikha Maqdasi, évêque chaldéen catholique d’Alqosh. 
   L’Institut prenait en charge leur voyage et leur séjour. Ils acceptèrent de venir à Paris et de témoigner des souffrances vécues par leurs fidèles, oppressés dès 2004, par des organisations liées à al-Qaida.

   Les chrétiens, dès 2004, furent pris comme cible par les anciens du parti bassiste de Saddam Hussein et les fanatiques musulmans. Les meurtres se multiplièrent, pour les terroriser, les forcer à quitter le pays, en leur disant que l’Irak était une terre d’Islam et que les chrétiens n’avaient plus le droit d’y vivre.

   Entre 2004 et 2013, il y eut plus de 1026 personnes tuées froidement, pour la seule raison qu’elles étaient chrétiennes. Cette terreur toucha l’Eglise de l’Irak, comme institution. Le 11 octobre 2006, le père Paulus Iskandar, syriaque orthodoxe, fut assassiné à Mossoul, comme en 2007, le père chaldéen Ragad Ganni, tué avec les quatre chrétiens qui l’assistaient.

   Le 22 février 2008, Monseigneur Paulus Faraj Raho, archevêque de Mossoul, fut pris en otage. Le 13 mars, on retrouva son corps jeté dans une décharge.
   La ville de Bagdad aussi fut prise pour cible. Le 6 avril 2008, le prêtre Yousif Adel Aboud, syriaque orthodoxe, trouva une mort tragique, abattu en présence de sa femme.
   Le 31 octobre 2010, des extrémistes musulmans liés à Al-Qaida, pénétrèrent dans l’église Notre-dame du Bon secours à Bagdad, pendant la messe du dimanche, et prirent en otage tous les fidèles. Une mare de sang coula bientôt dans l’église. On compta 58 morts et 78 blessés : parmi les victimes, deux jeunes prêtres syriaques catholiques, Thamer Abdal et Wassim Sabih. Dans l’ensemble de l’Irak, 61 églises et couvents furent détruits.

   En juin 2014, Daesh, créée à partir d’al-Qaida et d’anciens bassistes, occupa Mossoul, et instaura un califat. Les minorités durent payer un lourd tribut à l’occupation de leurs territoires. Les Yezidis furent massacrés, leurs femmes vendues comme du bétail. Les chrétiens de la plaine de Ninive (130 000 personnes environ) durent s’enfuir, abandonnant leurs maisons et tous leurs biens, et se réfugier dans des camps à Erbil, où ils vivent encore péniblement. 

   Le débat de ce jour au Sénat posait une question : Quel statut pour les chrétiens et les yézidis après la bataille de Mossoul, commencée par les Américains, l’armée irakienne et leurs alliés dans la nuit du 16 octobre 2016 ? Il s’agit d’une question vitale. Depuis, plusieurs villages ou villes comme Qaraqosh Bertela Tellesqof ont été libérés.

   Dans la salle Clémenceau, Monseigneur Moushé débuta l’intervention, disant qu’il avait rencontré François Hollande et François Fillion, pour parler du problème des chrétiens d’Irak. Il réclama une aide internationale : « Nous avons besoin d’une protection internationale, ou du moins d’un comité international, qui puisse nous assurer la possibilité de vivre en paix et en sécurité….Nous voulons une garantie des pays occidentaux, pour que le pouvoir central irakien assure nos droits et notre défense. Vu la gravité et l’urgence de la situation nous vous supplions de faire tout votre possible pour trouver une solution. … De leur côté, les Kurdes ont montré du respect et de la sympathie, et ont ouvert largement le Kurdistan (aux réfugiés chrétiens).
   Il continua : « Notre peuple n’a pas le courage et l’audace de rentrer chez lui et de reconstruire et pense toujours à l’émigration. Et nous ne trouvons pas sage et prudent de leur demander de rentrer.»
    Comment rendre vie à la plaine de Ninive ? Les villages ont été libérés, mais saccagés. Le manque d’eau, d’énergie, de services, d’écoles, d’hôpitaux, de travail, de sécurité, rendent le retour de ce peuple difficile. Difficile aussi le côtoiement des voisins arabes, avec qui les chrétiens avaient auparavant de bonnes relations, et qui ont dénoncé, volé et pillé leur bien. Le déminage est crucial. Onze personnes ont déjà été tuées par les mines.
    Le prélat réclamait aussi la création de « cantons reliés aux cantons yézidis dans un grand gouvernorat autogéré. Cette zone serait associée au Kurdistan ou au gouvernement central de Bagdad. »
 
    Monseigneur Maqdasi parla ensuite de la situation dramatique de son diocèse, où de nombreux villages ont été occupés et détruits, et la population contrainte de se réfugier au Kurdistan irakien. Il insista pour avoir un Etat irakien qui garantisse les droits de tous ses citoyens. Il appela à l’aide pour la reconstruction de la ville de Tellesqof et des villages de la plaine de Ninive.

    Madame Vian Dakhil, député yezidie au Parlement irakien, parla du génocide des yézidis de Sindjar et de la plaine de Ninive, des massacres, des enlèvements, des viols, des femmes vendues sur les marchés de Mossoul et de Raqqa, comme esclaves sexuelles. Son intervention émouvante, illustrée de cas concrets, impressionna le public. Les problèmes demeureront, dit-elle, même après la prise de Mossoul par l’armée irakienne, car la mentalité hostile et haineuse à l’égard des Yezidis et des chrétiens n’est pas morte. L’idéologie de Daesh persiste toujours en Irak.

   Monsieur Bernard Kouchner, ancien ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, intervint à son tour au sujet de l’état dramatique de ces réfugiés chrétiens et yezidis : « J’ai été un grand auteur du droit d’ingérence, mais le temps des forces internationales est fini. Les gens n’en veulent plus. Je serais à vos côtés pour l’exiger, mais ce n’est plus à la mode dans la population. Malheureusement, la réalité des pays occidentaux a changé. »

   Je remarquai les visages déçus des prélats irakiens et des représentants yezidis. Ils avaient le sentiment que leur demande de protection internationale demeurerait hypothétique, car leur sort dépendait des autorités irakiennes et kurdes qui voulaient régler leurs contentieux et s’intéressaient davantage à leurs intérêts qu’à celui des minorités.
   Cependant, les deux représentants du gouvernement du Kurdistan, Adnan Moufti, ancien président du parlement kurde et Ali Dolamari, représentant du gouvernement du Kurdistan à Paris, affirmèrent que les Kurdes portaient attention à ces deux communautés, yezidie et chrétienne, et que les responsables kurdes avaient l’intention de les aider et de les soutenir dans leurs revendications.

   Il y avait beaucoup de monde dans la salle du Sénat, parlementaires, et autres personnalités. Un sénateur, M. Yves Pozzo di Borgo, prit la parole à son tour. Il évoqua la forte rivalité entre chiites et sunnites dans cette région du Moyen -Orient, la nécessité d’y promouvoir une force laïque, et de garantir l’équilibre économique, politique et social entre les différents groupes, de les protéger. Le Sénat, dit-il, examinait plusieurs résolutions en ce sens et ferait bientôt des propositions.

 Bien sûr, on notait dans la salle Clemenceau, la présence de nombreux Assyro-chaldéen-syriaques. 

   A la fin du colloque, j’avais obtenu une conférence de presse pour les deux évêques irakiens ; mais hélas, leur emploi du temps était trop chargé.

   Hélas, l’avenir des minorités dans cette région du Moyen-Orient reste incertain, la forte montée d’un fondamentalisme religieux inquiète et n’arrange pas les choses. 


Une proposition du Sénat

   Le mardi 6 décembre, le Sénat adopta à l

’unanimité, en application de l’article 34-1 de la Constitution, et vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), vu le ch. VIII du règlement du Sénat, la proposition de résolution présentée par le sénateur Bruno Retailleau,
Elle invitait le gouvernement à « utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak. »
   Résolution ô combien importante, qui portera à la connaissance des Etats et du public tous ces crimes atroces ! Concernant les  Assyro-Chaldéen-syriaques, ils ont été vraiment les victimes innocentes de la terreur et du fanatisme de Daesh. Pourront-ils rester dans leur pays, ou le désespoir et l’abandon les pousseront-ils à chercher refuge à l’étranger ?


Ephrem Isa YOUSIF
65 rue Villeneuve
92110 Clichy – France
http://sanate.free.fr