dimanche 13 avril 2008

L’aspect pluriculturel de la société arabo-musulmane

Le cas de l’Irak

La société arabo-musulmane, dès son origine, a été multiculturelle, irriguée par les cultures des divers peuples qui la composaient.

Le cas de l’Irak est révélateur. Dès la création de l’État d’Irak en 1921, ses différents peuples, Arabes, Kurdes, Assyro-Chaldéens et Turkmènes participèrent à la Renaissance, la Nahda ; de même ses différentes communautés religieuses, musulmanes, chrétiennes et juives contribuèrent à donner un élan à cette Nahda. L’exemple des chrétiens fut caractéristique et leur apport très fort.

Voici cinq pionniers de cette Renaissance :

Anastase al-Karmali (1866-1947)

Savant, polyglotte, homme de lettres, il naquit en 1866 à Bagdad d’un père libanais Mikaël Awad et d’une mère irakienne, Myriam Austin Wasmi-Patros. Il entra à l’école des Carmes. Il enseigna la langue arabe, notamment aux membres de la communauté française à Bagdad. En 1886, il se rendit à Beyrouth, compléta sa formation universitaire chez les Pères jésuites, apprit le latin et le grec. Il rencontra au Liban les grands pionniers de la Nahda, Ibrahim, Nassif, al Yazagi, Ahmad Faris Chadiak, Adib Isaac.

Anastase vint encore étudier deux ans en Belgique, et devint carme, près de Liège. En France, il rejoignit les Carmes de Montpellier et passa six autres années à étudier la philosophie, la théologie, la linguistique. En 1893, il fut ordonné prêtre et prit le nom d’Anastase Mari al-Karmali.

Anastase al-Karmali rentra ensuite à Bagdad. Il fut nommé directeur général de l’École des Carmes. Il eut pour mission d’enseigner la langue arabe et la langue française pendant quatre ans. Polyglotte, il connaissait aussi l’anglais, l’arménien, et le persan. Il se donna totalement à la recherche et à l’écriture, fonda la célèbre revue mensuelle intitulée « La langue des Arabes » Lugat al-arab, pour promouvoir la langue et la culture arabes. Autour de lui se forma un véritable cercle d’intellectuels, philosophes, linguistes, écrivains irakiens. La renommée de ces majalis du vendredi devint régionale et internationale, touchant les pays arabes L’on y traitait la langue, la littérature et la philosophie arabes et l’on mettait par écrit les débats, en vue d’une publication.

En 1911, Anastase al-Karmali fut élu membre du conseil des orientalistes allemands. En 1920, il devint membre de l’Académie arabe à Damas. Il conseilla le ministre de l’Éducation de l’Enseignement supérieur pour les programmes et les traductions. Il fut encore élu membre de l’Académie scientifique de Bagdad.

Parmi ses écrits, signalons le premier ouvrage en 1911, L’histoire de Bagdad, depuis sa fondation jusqu’en 1495. Indiquons un autre ouvrage, L’histoire de la Mésopotamie en deux volumes et des centaines d’articles dans toutes les revues et tous les magazines de l’époque. Son ouvrage le plus célèbre est le dictionnaire de la langue arabe Al-Musaïd. Il mourut à Bagdad en 1947, et son corps repose encore aujourd’hui dans le couvent des Pères carmes.


Raphaël Batti (1901-1956).

Il naquit à Mossoul en 1901. Il fit ses études chez les Pères dominicains de la ville et en 1914, enseigna à l’école privée des Syriaques orthodoxes. Il approfondit alors la langue syriaque. Puis il partit à Bagdad, entra à l’Éducation nationale et écrivit un premier ouvrage, « La littérature contemporaine », en deux volumes. Raphaël s’orienta ensuite vers l’activité politique, adhéra au parti national démocratique irakien, dirigé par le célèbre Kamil al-Jaderji. Il fut élu parlementaire en 1935. Son mandat fut renouvelé six fois. En 1950, il fut nommé vice-directeur du Ministère de l’Intérieur. En 1953, il devint ministre dans le gouvernement de Fadel al-Gamali. Il mourut le 10 avril 1956 d’une crise cardiaque.

Raphaël Batti est le fondateur, en 1929, du célèbre journal « Al-Bilad » (Le pays). Écrivain prolifique, haut fonctionnaire, pionnier, il donna ses lettres de noblesse au journalisme. Il créa quatre autres journaux, Saout al-Iraq, « La voix de l’Irak », en 1930 ; le journal « Al-Jihad » ; « Al Khabar », en 1931, et enfin « Al-Rabï ‘ ».

Son fils, Faïq Batti, un célèbre auteur et journaliste, publia une encyclopédie des journaux irakiens depuis la création de l’État irakien.

Myriam Narmi (1890-1966)

Elle fonda le premier journal féminin en Irak, intitulé Fatat al-Arab, « La jeune fille arabe ». Elle était chaldéenne, originaire de la ville de Tell-Kaif. Elle fréquenta beaucoup les salons littéraires, les Majalis du vendredi du père Al Karmali. Elle commença à publier plusieurs articles dans la revue Lugat al-arab. Myriam voulut libérer la femme de l’ignorance, de l’obscurantisme, et des traditions archaïques grâce à l’éducation et au savoir, et lui permettre de jouer son rôle dans la société. Elle mit sa plume au service de cette noble cause.

Yousif Qelayta ( ?-1955)

Ce célèbre Assyrien naquit dans le village Mar Bicho, près de la frontière turco iranienne. Il fit ses études à l’école protestante d’Urmia. Il alla s’installer, dès 1920, à Mossoul, capitale de ce villayet. Rapidement, il créa une imprimerie en langues syriaque et arabe et commença à publier un nombre important de textes syriaques, comme les ouvrages d’Abdischo de Nisibe (Le paradis d’Eden), des textes de Narsaï et de Bar Hébraeus.

Yousif Qelayta fonda, dès 1921, l’École assyrienne de Mossoul, ouverte aux jeunes hommes comme aux jeunes femmes. L’enseignement était donné en langue syriaque, en anglais et en arabe. L’école devint un foyer culturel pour la formation d’élèves ouverts à la modernité, appelés à jouer un rôle important dans le futur État d’Irak.

Gorgis Awad (1908-1992)

Auteur fécond, bibliographe, il fut porté dès sa jeunesse vers l’amour du livre. Ce nouvel Ibn Nadim enrichit de précieuses acquisitions (15 000 ouvrages et manuscrits) sa bibliothèque.

Il naquit à Mossoul en 1908, dans une famille syriaque orthodoxe. Son père était Hanna al-Awad, un fabricant de luths. Il étudia à Bagdad, devint instituteur et travailla dix ans. Il fut ensuite muté à la Direction des Antiquités irakiennes et rapidement, fut nommé directeur de la Bibliothèque nationale. Dotée de 804 volumes, il l’enrichit de 60 000 titres. Il rencontra en 1935 Anastase al-Karmali, et devint son fidèle adepte, son élève, son fils spirituel pour la culture.

Gorgis commença à faire paraître des articles dans la revue Al Mktaba. Il écrivit plus de 410 articles, commentaires, études et ouvrages. Dans le domaine des livres, il publia 60 ouvrages, dont le célèbre « Un monument antique en Irak., le couvent de Rabban Hormuz », en 1934. Il corrigea et édita une dizaine de manuscrits musulmans classiques publiés en Occident au XIXeme siècle. Il passa 60 ans de sa vie à travailler ainsi, avec un esprit de rigueur et de précision, donnant les références. Son frère Michael Awad (1912-1995), un autre érudit, le soutint.

Il y a quelques années, un professeur irakien, Atya, son ancien élève, réunit les ouvrages de Gorgis Awad en six volumes et les publia à Beyrouth, en signe de reconnaissance.

Il y eut d’autres chrétiens qui s’adonnèrent à faire connaître et développer les sciences arabes. Ils furent à l’origine de la Nahda, la Renaissance arabe en Irak, qui eut une répercussion dans l’ensemble des pays arabes. Ils s’illustrèrent dans les domaines de la peinture, poésie, musique, du théâtre, du cinéma.